« Je suis trop petite encore, je reviendrai. Si tu reviens, a dit la mère, je mettrai du poison dans ton riz pour te tuer. Tête baissée, elle marche, elle marche. Sa force est grande. Sa faim est aussi grande que sa force. »
Un extrait du Vice Consul, de Marguerite Duras, lu en alternance par deux comédiens, assis, chacun devant une table du restaurant de la Scène Thélème, marque le début de la pièce. Un passage qui appuie sur le désespoir et la survie, deux thèmes récurrents dans l’œuvre de Duras. Cette lecture qui tend au dépouillement et au silence, laisse place à La Cuisine de Marguerite, un ouvrage davantage gai et amusant.
Au même titre que Virginia Woolf, Marguerite Duras nous fait pénétrer dans son intimité. Il s’agit de sa cuisine, son second univers de création où, comme dans l’écriture, elle s’adonne à des essais, des ratés et des succès. Cette œuvre autobiographique, grouille d’anecdotes et de réflexions sur la gérance et l’intendance d’une maison, le tout saupoudré de recettes et de conseils. A Neauphle le Château, elle nous entraîne dans la solitude de sa cuisine, un lieu d’expérimentation et de silence. L’occasion de réunir et de partager. L’opportunité d’évoquer son enfance et sa mère, qui lui a tant transmis. De se replonger avec bonheur dans les parfums de l’Indochine et du nuoac-mâm. Elle donne des indications sur la tenue de son foyer, dresse une liste de provisions à avoir, s’indigne contre ceux qui font trop cuire les soupes ou insiste sur le nettoyage des champignons noirs. Avec humour et cynisme, elle examine le rapport entre l’homme « actif et travailleur » et la femme au foyer qui élève leurs enfants. Elle s’amuse des clichés et les renforce avec joie. « On dit toujours, s’il n’y a pas de sel, il n’y a rien. Moi…ça prend des formes extrêmes…S’il n’y a pas de citron, y ‘a rien…S’il n’y a pas de thé, s’il n’y a pas d’Earl Grey, y’a rien…A la rigueur il pourrait ne pas y avoir de pain, mais s’il n’y a pas de pommes, alors par exemple, y’ a rien du tout…S’il n’y a pas de sauce indochinoise, je m’en vais-je quitte la demeure ».
Laurent Sauvage quitte son costume de comédien et enfile celui du metteur en scène. Il en résulte une direction d’acteurs juste et un choix de répartition des textes pertinent. Deux comédiens lui prêtent voix, une femme et un homme, qui reflètent deux visages de Marguerite Duras. Ils se complètent et transmettent ses souvenirs. La notion de transmission est importante car les comédiens parviennent à nous léguer une véritable trace de la vie de Duras. Assis, presque immobiles, vêtus de noir et d’un tablier, ils nous font parvenir l’odeur de la soupe aux poireaux et l’exigence de cette femme de caractère. Marine de Missolz, ici dans un registre plus intimiste qu’avec Houellebecq, incarne la femme de tête franche et tranchée. Une rigueur ponctuée de cynisme, que la comédienne maîtrise parfaitement. Elle parsème certains instants d’émotions nostalgiques pleines de délices. À ses côtés, Guy Prévost, la face sensible mais surtout excentrique de l’auteure. Il jongle aisément avec le décalage humoristique et la douceur de ce génie littéraire.