Pippo Delbono revient au Théâtre du Rond-Point. Avec La Gioia, il signe un spectacle gorgé d’amour et de douleur. Une traversée onirique et fracassante, en hommage à l’un de ses acteurs, Bobò, fidèle compagnon récemment disparu.
Pour le metteur en scène italien Pippo Delbono, le plateau de Théâtre est le lieu d’une liberté sans règles. Une scène de l’intime et de l’expiation de ses névroses. Ses spectacles sont très visuels et poétiques. Des représentations décousues s’enchainent avec cadence. Il y a parfois des incohérences, des incompréhensions. Pippo Delbono dit lui-même que dans son travail, le but n’est pas de trouver un sens, de déterrer un fil rouge. Il faut simplement vivre l’instant et se laisser porter par cet univers singulier, à la fois kitsch et majestueux.
Dans La Gioia, il est question de joie, de folie, mais aussi de souffrance et de mort. Bobò, un Italien sourd-muet a fui l’asile pour passer le reste de sa vie auprès de Pippo Delbono. Acteur emblématique de sa troupe, sa voix traverse ce spectacle qui lui est dédié. Chez le metteur en scène, le partage est toujours au cœur de l’acte artistique. Il aime créer de la cohésion avec le public, se confier, lui raconter des histoires. Être ensemble est la chose la plus précieuse qu’il nous reste dans ce monde violent, où la joie se mêle à une lutte de survie. Il faut garder espoir. Malgré les changements de saison, l’enfermement moral et les corps échoués des migrants, le soleil réapparaît toujours.
Sur scène, les tableaux s’enchainent au son tonitruant des classiques comme la Masquerade, d’Aram Khachaturian. La troupe, aux allures de circassiens, entièrement réunie et solidaire, exprime sa tendresse et sa mélancolie à travers la danse et le chant. Les acteurs déambulent, vêtus de costumes extraordinaires créés par Elena Giampoli. Gianluca Ballaré enfile la robe en soie bleue d’une diva italienne , puis le vêtement chatoyant du clown blanc, triste Pierrot sans son Auguste Bobò. Grazia Spinella nous éblouit par sa grâce et ses danses endiablées. Dans un des premiers tableaux qui ouvre le spectacle, elle danse exaltée, bondissant au son de la musique, sous la lumière frénétique du stroboscope. Elle joue ardemment avec le bas de sa robe, empli de talc, qu’elle projette en l’air, près d’une cage dans laquelle est enfermée Pippo Delbono. Autour d’elle, tous les comédiens défilent sur la scène et dans le public. Ils portent des costumes délirants qui habillent le plateau d’un air de freak show. Un homme est recouvert de guirlandes illuminées, un second a des branches d’arbres à la place des bras. Les femmes portent des toilettes royales, des jupes à cerceaux, des chapeaux loufoques et du maquillage outrageant. Tout est fantaisiste, excentrique mais très élégant et stylisé. Le spectateur est fasciné par cette scène, incroyable d’intensité. Une douceur suivra, celle des innombrables fleurs que le metteur en scène offre à ses acteurs. Les fleurs de la renaissance, des fleurs qui résistent au temps et à toutes les peines.