Pauline Bureau présente Hors la loi, au Théâtre du Vieux Colombier. Après s’être penchée sur le scandale du Médiator qui déboucha sur un procès, la metteuse en scène et autrice poursuit son travail autour des victimes du système, des petites gens, souvent des femmes. Ceux qui se taisent tapis dans l’ombre et qui une fois l’attaque et la bataille lancées, tenteront de se réapproprier leurs corps et leur vie. Elle signe un spectacle percutant qui révèle avec pudeur et poigne les failles d’une société aux mentalités sclérosées.
Hors la loi est une pièce créée le 24 mai 2019 avec les comédiens de la Comédie-Française. Avec cette pièce inspirée de faits réels, Pauline Bureau revient sur l’histoire de Marie-Claire Chevalier, une adolescente de 16 ans, violée par un camarade de classe. Aidée par sa mère et une « faiseuse d’ange », la jeune fille a recours à un avortement clandestin. Quelques mois plus tard, ces femmes sont arrêtées pour avoir enfreint la loi. Débutera alors le fameux Procès de Bobigny de 1972, le premier procès politique de l’avortement, dans lequel les accusées deviennent les accusatrices de la loi de 1920 contre l’avortement. Ce procès est mené d’une main de fer par Gisèle Halimi. Elle fut l’une des avocates féministes les plus importantes du XXe siècle. Elle œuvrera toute la vie pour la cause des femmes et le droit à l’avortement.
Cette pièce, toujours d’actualité, raconte la malédiction de naître fille, à une époque où celle-ci ne dispose pas d’un respect de ses droits sexuels et reproductifs. La femme donne la vie, mais n’est pas maitresse de son corps et de ses choix. Qu’importe le crime, l’erreur, l’oubli ou l’échec, elle se doit d’obéir à une loi qui décide à sa place. Qu’importe le poids de la honte, de l’humiliation et l’absence de volonté, le ventre de la femme appartient à l’Assemblée nationale, qui punit les avortements, considérés comme crimes d’État.
La pièce se divise en deux temps. Une première au sein du foyer de la famille Chevalier, dans lequel vit Michèle, la mère exemplaire et ses deux filles Marie-Claire et Martine. Une première partie intimiste, où la pesanteur et le silence règnent en maitres et contrastent avec la vigueur du procès qui suivra. Notons quelques longueurs, qui contribuent pourtant à un climat feutré. La violence n’éclate jamais au grand jour. Les maux sont intérieurs. La douleur et la faute de l’interdit prennent le pas sur la parole. Ce choix de mise en scène, renforce la souffrance cachée, le déshonneur inavouable. Bien loin du misérabilisme, ces personnages témoignent et déclenchent des prises de conscience collectives.
Dans sa deuxième partie celle du procès, la pièce prend un aspect historique, proche du documentaire, de la restitution. Le dispositif scénique modulable et réaliste offre du concret. Pas de part belle à l’imagination. Nous ressentons une mise à distance émotionnelle de certains comédiens, qui semblent davantage représenter une figure, qu’incarner un vécu. Malgré tout, Françoise Gillard est une Gisèle Halimi audacieuse et téméraire. Intelligente et pleine de panache, elle fait honneur à la mémoire et à la voix de l’avocate récemment disparue. Saluons également les personnages interprétés par les touchantes et espiègles Martine Chevallier et Sarah Brannens.
Une scène de puissance et de beauté ressort indéniablement de ce spectacle. Un instant scénique et silencieux, où apparaissent, simultanément, sur les murs, les noms des 343 femmes françaises, qui ont signé le Manifeste « Je me suis fait avorter ». Ces noms, véritables coups de poings et armes de fierté, résonnent en nous. Des noms qui ne nous sont pas étrangers : Beauvoir, Deneuve, Duras, Leduc, Mnouchkine, Sagan, Seyrig, Halimi et tant d’autres. Un hommage à ces femmes, ces hors la loi, qui se sont battus jusqu’à la Loi Veil en 1975. Des femmes connus et des anonymes, qui s’impliquent encore aujourd’hui, à une époque où la sexualité est encore un tabou dans de nombreux pays. N’oublions pas qu’en 2018, une femme mourrait encore toutes les 9 minutes d’un avortement clandestin.