Chacune de ses création est attendue comme une fête ! Cinq ans après Une Chambre en Inde, Ariane Mnouchkine pose ses valises et son Théâtre dans l’île de Sado au Japon. Une île peuplée d’artistes et rebaptisée L’île d’or par Zeami le grand Maître du Nô. Un nom qui devient le titre de son nouveau spectacle présenté au Théâtre du Soleil. Avec L’île d’or la metteuse en scène convoque tous les maux du monde sur le territoire japonais, qui devient le temps du Théâtre, l’observatoire de toute une humanité.
Se rendre à une représentation d’un spectacle d’Ariane Mnouchkine c’est se préparer au voyage et à la métamorphose. Comme pour chaque nouvelle création, le Théâtre du Soleil se pare des couleurs et des saveurs du spectacle en cours. Pour L’île d’or, le public pénètre dans un marché nocturne japonais paré de lampions et de lanternes. Les lions du peintre japonais Hokusai recouvrent les murs et veillent sur le Théâtre du Soleil.
Empêchée de retourner sur cette île de Sado qui a marqué son parcours d’artiste à cause du Covid, la troupe d’Ariane Mnouchkine s’est prêtée pendant plusieurs mois à un travail d’improvisations. Nous retrouvons Cornelia la rêveuse d’Une Chambre en Inde qui embarque pour une seconde aventure depuis son lit d’hôpital. Souffrante et délirante elle imagine l’organisation d’un festival de Théâtre au Japon, sur une île protégée de l’ébranlement mondial lié à la pandémie. Des troupes s’affairent et débutent les répétitions. Toutes ces compagnies de rescapés accourent de pays endommagés et tentent de faire triompher la justice et la vérité. Le virus est en fond de toile mais s’efface sous le poids des catastrophes politiques, religieuses et migratoires. Bon nombre et peut être trop de sujets glaçants à la une de notre actualité figurent dans ce spectacle. Dans L’île d’or, Ariane Mnouchkine convoque la dictature, le conflit israélo-palestinien, l’homophobie, le féminicide, l’immigration, les problèmes identitaires, la religion, les complots politiques, même Carlos Ghosn aura un rôle à jouer.
Car quoi de plus beau que le Théâtre pour fuir les maux et les cataclysmes ? Quoi de plus puissant qu’un festival pour restaurer le partage et la liberté ? Malgré les bombes et les dérives le Théâtre subsistera et illumine le chaos du monde.
Une fois de plus Ariane Mnouchkine créait un Théâtre chaleureux et fédérateur qui se moque avec délice des travers de notre monde et des cruels puissants avides de pouvoir. Elle dissout les frontières en mélangeant les langues, les identités et les croyances de chacun. Elle tend à penser un monde meilleur dans lequel les tyrans d’aujourd’hui seraient les pantins de demain.
Si le Japon est le champion de la mise en forme, la metteuse en scène excelle toujours dans l’esthétique et l’art du détail. Chaque comédien est grimé, portant un masque et une perruque aux allures japonaises. Les costumes, les accessoires et chaque élément de décor est parfaitement étudié. Aucun effet n’est laissé au hasard. Toute la mise en scène, les déplacements et les tableaux sont savamment construits. Les musiciens en live qui accompagnent Jean-Jacques Lemêtre appuient le dépaysement et la poésie. Des fresques en mapping vidéo habillent le fond de la scène et créaient des ambiances oniriques.
Adepte des scènes qui s’enchainent, nous retrouvons un dispositif cher à la metteuse en scène : des plateaux de bois à roulettes qui permettent de créer et d’imaginer tous les espaces. Les enchainements et les changements de décors sont imperturbables mais trop nombreux ce qui suspend l’attention. Les scènes parfois trop courtes n’ont pas le temps de s’installer et de gagner le cœur du spectateur qui reste trop sur sa faim. Passer plus de temps avec ces trois magnifiques cigognes géantes, réapparues en 2020 après 40 ans d’extinction, ne nous aurait pas déplu. Un prochain spectacle renaitra-t-il de toutes les cendres qu’Ariane Mnouchkine disperse sur son plateau ou tente-t-elle de nous délivrer un dernier message ?