Avec son adaptation du Tartuffe ou l’Hypocrite, d’une contemporanéité saisissante, Ivo van Hove ouvre le bal des hommages rendus à Molière à la Comédie-Française.
Après un passage fracassant au Théâtre de la Villette avec Age of rage, le metteur en scène Ivo van Hove change de registre et participe à la célébration des 400 ans de Molière. Il revisite une de ses plus grandes pièces en se dessaisissant du dernier acte et en adaptant une version inédite en trois actes datant de 1664. Une version restituée par Georges Forestier avec la complicité d’Isabelle Grellet, dans laquelle le metteur en scène belge exprime avec élégance son amour du chaos.
Dans Tartuffe ou l’Hypocrite, de Molière, Orgon, un mari dévot accueille chez lui Tartuffe, un homme qui semble incarné la plus parfaite dévotion. Celui-ci tombe amoureux d’Elmire l’épouse du dévot. Il tente de la séduire, mais elle le repousse tout en répugnant à dénoncer à son mari qui, informé par un témoin de la scène refuse de le croire. La confiance aveugle de son mari pour le saint homme obligera alors sa femme à lui démontrer l’hypocrisie du dévot en le faisant assister, caché sous une table, à une seconde tentative de séduction, à la suite de quoi le coupable sera chassé de la maison. La pièce en trois actes s’ouvre sur la vieille dévote Mme Pernelle et se conclue avec le retour de celle-ci, dont le sot aveuglement devant l’évidence, rend furieux son fils Orgon, qui a enfin ouvert les yeux. Ici pas de place pour les autres amours, ceux de Valére et de Mariane et peu pour ceux de Damis.
Avec Ivo van Hove, Le Tartuffe ou l’Hypocrite considéré comme une véritable satire sociale comique, se transforme en un épisode fracassant de modernité et de désir. Tartuffe est présenté comme un SDF en haillons, recueilli par la famille, qui le lave et l’habille de son costume mensonger. Ils laissent entrer le ver dans la pomme. Une manière de poser un nouveau regard emprunté au réel. Comme à son habitude, la mise en scène et la scénographie sont parfaitement cadrées. Le noir envahit le plateau de la Comédie-Française qui se drape d’élégance et de sobriété. L’intérieur du cocon familial empoisonné est symbolisé par un grand escalier en fer et divers lustres qui montent et qui descendent, créant des ambiances chaudes et froides. L’atmosphère est à la fois sulfureuse et terrifiante. Un drap blanc, sur lequel est dessiné un rond noir se veut l’espace du jeu. Le cercle de l’affrontement, de la convocation et de la cérémonie sacrée. Chaque comédien se salut avant d’y entrer pour s’y révéler.
Ivo van Hove sacralise chaque échange. L’action est rythmée, cadrée, séquencée, le théâtre en tension. La musique inhérente à ses mises en scène qui se regardent mais s’écoutent beaucoup, offre à la scène des airs de cinéma. Les sons dialoguent avec la dramaturgie, ils la soutiennent, la renforcent. Nos émotions sont sur le fil du rasoir. Trop de machinerie semble pourtant déployée. Les changements incessants à vue, un écran inutile qui interroge le spectateur en faisant défiler des questionnements réducteurs et naïfs.
Pour son retour auprès de la troupe de la Comédie-Française, Ivo van Hove s’entoure de certains comédiens qui avaient déjà joué sous sa direction dans Les Damnés, de Visconti. Christophe Montenez, admirable comédien, propose un Tartuffe mémorable. Homme infecté, dévot immoral, menaçant et perverti. Il incarne une rage sommeillante et un érotisme contenu. À ses côtés, Marina Hands est une Elvire volubile et ambiguë qui se laisse prendre à son propre piège. Comédienne séduisante, à l’allure élancée Marina Hands offre au personnage d’Elvire une féminité et une complexité intéressantes. Denis Podalydès incarne avec douceur cet Orgon risible, entêté et crédule. Loïc Corbery est un Cléante soucieux et responsable. Dominique Blanc une tendre et dévouée Dorine. Claude Mathieu une Madame Pernelle intransigeante et révoltée. Julien Frison, une belle découverte et un éloquent Damis.
Cette belle troupe accompagne le metteur en scène dans sa revisite moderne qui offre son coup de grâce à la fin du troisième acte, qui semble aussi ridicule que le cinquième acte connu, où l’intervention royale solde tout comme par magie. Pied de nez ou miroir de notre société ? Ivo van Hove joue le jeu jusqu’au bout et termine son spectacle avec une dose de fantaisie et de grotesque Moliéresque. Elmire est enceinte de Tartuffe. C’est désormais Orgon qui semble être réduit au rang de SDF. Quant à Cléante il a des allures de gilet jaune militant et Damis en robe et bottes à talons, de transsexuel.