C’est en 1999 que Frédéric Bélier-Garcia présentait sa mise en scène de Biographie : un jeu, de Max Frisch. Une vingtaine d’années plus tard il réadapte cette pièce sur la scène du Théâtre du Rond-Point et bouleverse les destinées en ouvrant les champs des possibles. Si c’était à refaire, quelle version de votre vie choisiriez-vous ?
Et si la vie était un jeu dans lequel on pourrait offrir une tournure différente aux événements passés. Max Frisch organise sa pièce autour de la biographie du sociologue Kürmann et de sa deuxième femme, Antoinette. Kürmann aurait préféré ne pas avoir rencontré la jeune doctorante au moment où lui-même est devenu professeur. Ce moment crucial où les deux passèrent leur première nuit ensemble. Ils rejouent donc inlassablement la scène, tentant de déjouer leur destin commun. La tentation est trop grande pour ne pas changer les paramètres et succomber à une biographie au conditionnel. Cette pièce est conçue comme une scène de répétition, où le théâtre et la vie se superposent. Mais Kürmann se sentira-t’il sincèrement libre sans Antoinette dans sa biographie ?
« À vrai dire, je voulais juste entendre une dernière fois votre vieille boîte à musique. Je suis fascinée par les boîtes à musique : ces personnages qui refont toujours les mêmes gestes, dès que retentit le petit air… », Antoinette
Cette tragi-comédie est orchestrée par un meneur de jeu et ses assistants. Un homme qui propose à Kürmann de remplacer le brouillon de sa vie actuelle par une copie propre. Un meneur de jeu troublant qu’on pourrait assimiler à une figure sacrée ou à celle du chef d’orchestre, interprétée philosophie par Jérôme Kircher. Tout ce petit monde se prête à des jeux de rôles afin de proposer des possibilités infinies, des scénarios toujours plus précis. Comme dans Smoking/No smoking, d’Alain Resnais, un simple détail, le choix le plus mince, peut chambouler une vie. Une vie et surtout un mariage que Kürmann et sa femme Antoinette ne perçoivent plus comme nécessaire. Ils se sont réduits l’un l’autre et la douleur d’un triangle amoureux a effacé tous les rires, les joies et les bons souvenirs.
Ce couple mélancolique, érodé mais déterminé marche à tâtons sur les sols de mondes déstabilisants et navigue entre les possibles. La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia donne de la variation et du volume à ce texte volontairement répétitif. Isabelle Carré et José Garcia incarnent à merveille ces êtres traversés par un flot d’émotions. La douceur, l’évanescence et le détachement d’Isabelle Carré donnent de la force à l’impatience, à la nervosité et à la mélancolie de José Garcia. Un José Garcia qui fait ses premiers pas sur les planches, le début d’une nouvelle vie…