Après le purgatoire des Idoles, Christophe Honoré revient sur la scène du Théâtre de L’Odéon avec d’autres morts, ceux de sa famille et du Ciel de Nantes. Entremêlant les temporalités, le metteur en scène immerge les spectateurs au cœur de son intimité et nous interroge sur ces récits identitaires qui ne nous appartiennent plus.
De quoi peut-on hériter quand il n’y a comme patrimoine rien d’autre que des vies détruites ? Comment sauver sa peau sans avoir le sentiment de trahir les siens ? Dans un cinéma qui semble abandonné, la grand-mère de Christophe Honoré, Mémé Kiki, retrouve certains de ses dix enfants. Il y a aussi le père Puig, son second mari, banni pourtant depuis des années. Ils sont réunis parce qu’un de leurs petits-enfants, celui qui fait du cinéma, celui qui ne vit plus dans le même monde qu’eux et elles, a quelque chose à leur dire. Il a imaginé un film pour raconter leur histoire commune, un film que le cinéaste avait en effet écrit mais qu’il ne s’est jamais résolu à tourner.
Le film imaginaire est l’occasion d’une dernière réunion de famille réunissant les vivants et les morts. Christophe Honoré compose le récit de leur histoire commune à travers leurs dialogues contradictoires. Le metteur en scène esquisse la destinée d’une famille de la classe populaire sur cinq décennies, ses amours, ses désillusions, ses blessures. Le point de départ est la naissance de sa grand-mère en 1913. Une femme qui cède par convenance à un mariage forcé avec un immigré espagnol qui lui fera huit enfants. Elle racontera qu’elle était la femme la plus cocue et la plus battue de toute la ville. Elle est à la tête d’une lignée victime du chômage, de l’alcoolisme, de la dépression. D’hommes et de femmes qui se sont empoisonnés pour lutter contre une détresse irréversible.
Avec Le Ciel de Nantes, Christophe Honoré donne la parole à sa famille explosive, trop tôt réduite au silence. Il brosse une sorte de nécromancie qui apparait comme un hommage et une réparation teintée d’espoir. Car nous le savons tous, on ne meurt jamais vraiment sur une scène de Théâtre. Grâce à ce spectacle et à ce texte, les ancêtres de Christophe Honoré ne sombrent pas dans l’oubli et la parole se délivre enfin.
Malgré les blessures et la violence extrême, l’union et l’amour semblent triompher. C’est à travers une mise en scène cadrée mais souple qu’une cohésion et un quotidien se recréaient. La scénographie est minutieuse et vraisemblable. Nous reconnaissons les tasses à café, la multitude de cadres photos ou encore les bonbons La Vosgienne de chez nos grands-parents. La famille, cet ensemble si particulier apparaît sur le plateau. La destruction et les destinées tragiques sont toujours traitées avec bienveillance. Christophe Honoré dose parfaitement l’entremêlement entre partages, frictions, confessions, confidences et grâce. Des séquences filmées reconstituent les souvenirs de cette famille. Un usage de la vidéo parfaitement maitrisé et à propos qui constitue une belle rencontre entre le Théâtre et le Cinéma, les deux arts qui nourrissent Christophe Honoré.
L’amour pour cette famille, le metteur en scène le reflète également à travers le choix des comédiens qui l’accompagnent au fil de ses projets et qui constituent sa véritable famille de cœur, celle qu’il a choisie. Des comédiens brillants, drôles et engagés à l’image de Jean-Charles Clichet et Stéphane Roger tordants et tendres à la fois. Marlène Saldana est éblouissante. Chiara Mastroianni douce et charismatique. Quant à Harrison Arévalo il respire l’ardeur et l’impétuosité.