Enfilez vos gilets de signalisation, rangez-vous deux par deux et en route pour le pédibus ou plutôt pour la représentation de The Game of Nibelugen, mis en scène par Manu Moser et interprété avec délice par Laura Gambarini. Une pépite de la sélection suisse en Avignon, à ne pas manquer, à L’Espace Mistral.
Pour ce spectacle la comédienne, Laura Gambarini s’inspire de son expérience personnelle. En septembre 2020, en pleine pandémie, elle reprend son emploi de professeur d’Allemand, dans un lycée en Suisse. Dans le corpus elle est confrontée à la chanson des Nibelungen, véritable épopée allemande indéchiffrable, écrite vers 1200. Elle tente de manière ludique de décrypter et de transmettre cette folle aventure à ses élèves avec les moyens du bord. Issue du théâtre de rue, elle réalise qu’elle est en pleine création d’un spectacle qu’elle peut porter au-delà des murs de la scolarité.
Le jeune Siegfried s’éprend de Kriemhild, sœur de Gunther, roi des Burgondes. Gunther lui promet la main de Kriemhild s’il l’aide à conquérir Brunhild, vierge guerrière, reine d’Islande. Siegfried assiste Gunther et le fait triompher des trois épreuves imposées aux prétendants. Siegfried épouse alors Kriemhild; mais il intervient à nouveau pour maîtriser Brunhild, jeune mariée rebelle. Quelques années après, une querelle éclate entre les deux reines : Kriemhild, blessée dans son amour-propre par Brunhild qui la traite de serve, reproche à sa belle-sœur d’avoir appartenu à Siegfried avant d’avoir été la femme de Gunther. À Brunhild outragée, Hagen, le fidèle vassal, promet vengeance. Ayant appris de Kriemhild quelle partie du corps de Siegfried était vulnérable, il le tue traîtreusement dans une partie de chasse. Afin de venger le meurtre de Siegfried, Kriemhild accepte d’épouser le roi des Huns, Attila et réussit à attirer Gunther et ses guerriers dans le pays d’Etzel. Par la faute de Kriemhild, altérée de vengeance, par celle de Hagen, qui n’accepte aucun compromis, les fêtes du début dégénèrent en sanglants combats. De la troupe des Burgondes, il ne reste que Hagen, à qui Kriemhild va trancher la tête avec l’épée de Siegfried avant d’être aussitôt mise à mort par Hildebrand.
Un récit alambiqué, digne de JRR Tolkien, que Laura Gambarini raconte en Allemand. Rassurez-vous et croyez-moi, il n’est pas nécessaire de comprendre l’Allemand pour comprendre et aimer ce spectacle. Bien au contraire, l’incompréhension littérale apporte un nouveau niveau de lecture, plus universel et communicatif. Il faut dire que Laura Gambarini est une comédienne hors paire qui fait feu de tout bois. Entourée des accessoires propres à une salle de classe, elle utilise tout ce qui lui passe sous la main pour recréer et mimer les scènes des Nibelugen. Gourde, chiffon, coque de téléphone, cigarette électronique, compote, compas, trombones, éponge, classeurs, tout y passe. Les objets se transforment en marionnette et découvrent de nouveaux visages, de nouvelles fonctions. Le désordre règne, le silence habituel de la salle de classe commence à disparaître. Comme tout bon professeur, Laura Gambarini interroge les spectateurs transformés en élèves, sagement assis et les récompensent de bons points, sous forme de gommettes d’animaux. Le public renoue avec cette expérience lointaine et régressive du cours de langue. Chanceux ceux qui avaient une telle enseignante !
Laura Gambarini est une comédienne extravagante et cocasse. Avec la complicité de Manu Moser, le metteur en scène, elle fait preuve d’une imagination farfelue et d’une énergie illimitée qui font apparaître des dragons et des capes d’invisibilité en plein cœur d’Avignon. Un moment d’enchantement et d’engouement où le rire et l’amusement prennent le pas sur cette intrigue biscornue.