Illusions perdues, d’après Honoré de Balzac mis en scène par Pauline Bayle au Théâtre Public de Montreuil

Créé en 2023, c’est au Théâtre Public de Montreuil, que Pauline Bayle reprend son spectacle Illusions perdues, d’après Honoré de Balzac, auteur visionnaire du 19ème siècle. Une adaptation ciselée et rythmée, portée avec panache par de talentueux comédiens. Un moment de théâtre à l’état pur, qui redonne joie et foi en cette période culturelle incertaine.

Lucien Chardon né de Rubempré quitte sa Touraine natale grâce à l’argent de sa sœur et de son beau-frère pour tenter sa chance à Paris. Mais la vie parisienne le désarçonne et il se ruine très vite pour suivre le train de vie d’un homme de lettres qu’il n’est pas encore. La bonne société du boulevard Saint-Germain-des-Prés se moque de lui et il ne trouve pas d’éditeur pour son recueil de poésies. Il se fait donc employer comme journaliste et découvre les dessous de la critique littéraire, ce qui le conduit enfin à publier, mais qui le mène aussi à bien des désillusions.

Ainsi nous assistons à l’ascension et à la chute de Lucien, ce jeune poète ambitieux, qui malgré sa morale, se laissera influencer pour atteindre et corrompre ses idéaux. Le désir de réussite et de reconnaissance domineront sa nature sincère et étoufferont le véritable artiste qui sommeille en lui depuis bien des années.

Balzac, auteur obsédé par les dérives et les travers de sa société, n’épargne aucun de ses personnages. Tous dans l’excès et la démesure, ils constituent le miroir de nos existences. Balzac situe son roman à la naissance d’un journalisme qui devient populaire et plus accessible à un lectorat grand public. S’abonner à la presse n’est plus un privilège mais une affaire financière faite de petits arrangements malhonnêtes. Les abonnés achètent leurs articles et influencent les plumes des journalistes. L’objectivité est absente des rédactions corrompues jusqu’à l’os.

C’est dans ce contexte que Lucien sacrifiera ses ambitions artistiques au prix d’un journalisme douteux et d’une littérature qui n’est plus qu’utilitaire. Avec cette épisode de La Comédie humaine, Balzac capture le monde dans toute sa complexité. C’est ce monde effervescent et en pleine ébullition que transpose Pauline Bayle sur le plateau nu du TPM. Elle opte pour un dispositif quadri-frontal qui se dévoile après le début du spectacle. D’Angoulême à Paris, la disposition des spectateurs change et marque le tumulte et le tourbillonnement traversés par Lucien en arrivant à Paris. Une vie à cent à l’heure, la manifestation d’un présent fort qui éclabousse la scène du Théâtre Public de Montreuil.

Le spectateur vit en direct la capture de ce monde dans toute sa complexité, aussi bien dans la course aux succès que dans la lutte pour échapper au désespoir.

Le réalisme est renforcé par la présence permanente des comédiens qui restent dans les gradins et effectuent tous leurs changements à vue.

Ils sont seulement cinq à porter la pluralité des figures de Balzac et de leurs langages. Cinq comédiens brûlants de désir et mordants la vie autant qu’ils le peuvent. Mention spéciale à Anissa Feriel, qui interprète avec humilité et bienveillance ce Lucien Chardon. Pensées pour Zoé Fauconnet, passionnée et captivante. Tous évoluent dans une mise en scène parfaitement orchestrée. Les scènes s’enchainent sans relâche dans un rythme à couper le souffle. Une fois de plus, avec « seulement » un texte fondateur, d’excellents comédiens et un plateau minéral, Pauline Bayle sublime l’art théâtral.

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