Comme pour toutes ses créations le Birgit ensemble s’interroge sur la compréhension du monde et de l’actualité. Aujourd’hui la compagnie présente Roman(s) national, au Théâtre de la Tempête et nous embarque dans les coulisses des élections présidentielles rattrapées par les fantômes de la colonisation. Une partition et une mise en scène au cordeau, dignes d’une série télévisée !
Nous sommes en France dans un futur proche. Le président de la République vient de décéder subitement. Des élections anticipées sont organisées à la hâte. Son héritier, Paul Chazelle, le candidat du parti Horizon, affûte ses armes en vue du second tour mais, à quelques jours de l’élection, l’arène est soudainement peuplée de fantômes jaillissant du passé, de notre histoire passée.
Le roman national est la narration romancée qu’une nation offre de sa propre histoire. Les hommes politiques s’intéressent à l’enseignement de l’Histoire car ils considèrent qu’elle forge l’identité nationale, la légende républicaine.
Avec Roman(s) national, le Birgit ensemble questionne la manière dont la république a forgé son identité et a créé des zones d’ombres et d’oublis. Le spectacle revient sur l’Histoire de la Vème république et la création de ses institutions. Alors que Maurice Barrès déclarait que la conscience nationale n’était autre que « la voix des ancêtres »… Aujourd’hui tout semble toujours se raconter à travers les grands hommes et les grandes conquêtes, négligeant les manques liés au colonialisme, aux vaincus, aux dominés. À l’instar de l’autrice et metteuse en scène Alexandra Badéa, ce sont ces manques qui viennent hanter le roman national et rejaillissent des sous-sol du Musée de l’homme, lieu symbolique de l’action. Lieu atypique pour y installer les bureaux de la campagne présidentielle de Paul Chazelle, mais lieu symbolique qui renfermait les crânes des combattants tués lors des guerres coloniales au 19e. Les voix des Algériens et des Kanaks bafoués s’élèveront et viendront ternir un présent mensonger, ravageant de l’intérieur ce petit microcosme si confiant.
La puissance de ce spectacle réside dans la mise en scène digne d’une série politique américaine où la force de l’Histoire rattrape le temps et l’actualité. Tout est extrêmement précis, réglé, cadencé. Jade Herbulot et Julie Bertin dévoilent un texte ciselé, percutant et une scénographie d’envergure. Les décors sont parfaitement réalistes et modernes. Le spectateur est happé par cet univers mobilisé et combattant, fort de son discours et de son idéologie. Les complots et la mégalomanie politiques apparaissent au grand jour, dévoilant des relations factices, une culture de l’image ridicule et un être humain ébranlable.
Une narratrice, la vidéaste missionnée pour médiatiser le président en lice, annonce les prémices de la crise et le début de la chute. Chaque personnalité est parfaitement définie et étiquetée, nous offrant presque des archétypes qui tiennent leur rôle à merveille. Le Président infaillible, l’intellectuelle et brillante chargée de stratégie de communication, le geek serviable, l’éternelle seconde stratège, le responsable du financement fanfaron et méprisant, la première dame pugnace et obstinée, la chargée de sécurité loyale et honnête. Une belle brochette de personnages interprétée par des comédiens précis et engagés qui tentent de dévoiler l’invisible et renvoient le spectateur à l’héritage, celui d’une époque et d’un pays sourd à certains récits…