Avec La Tendresse, présentée au Théâtre Gérard Philippe et prochainement à l’affiche des Bouffes du Nord, Julie Berès poursuit son exploration autour de la jeunesse et interroge les codes et les constructions des masculinités. Un spectacle à l’énergie coup de poing.
Les deux créations et réflexions de la metteuse en scène s’inscrivent dans la lignée du théâtre d’Ahmed Madani, qui après un premier volet, Illumination(s), consacré à la parole des hommes, puis un deuxième, F(l)ammes, à celles des femmes, créait Incandescences en réunissant filles et garçons autour d’interrogations sur les rapports hommes-femmes et plus globalement sur l’amour.
Avec ce travail d’exploration Désobéir, de Julie Berès constituait le premier volet de ce dytique centré sur les témoignages. Cette création donnait à entendre les voix des jeunes femmes immigrées en France qui ont fait le choix de la désobéissance. Des femmes libres, joyeuses et guerrières fédérées autour d’une prise de conscience et d’une révolte commune.
La Tendresse interroge l’homme dans toutes ses masculinités. La metteuse en scène met en avant les injonctions à la force, au courage, à la violence. La difficulté à accepter ses faiblesses et à se nicher dans la consolation avec fragilité et vulnérabilité. Julie Berès questionne la notion de virilité et le rapport à la performance et au physique. Les avis s’affrontent et divergent, la misogynie et les clichés romantiques défilent mais toujours avec humour.
Malgré une volonté de déconstruction de la masculinité, certaines paroles l’enferme. Le texte issu des collaborations de Julie Berès, Kevin Keiss, Lisa Guez et Alice Zeniter semble assez inégal et oscille entre moments de beauté philosophique et verbatim vain.
La pièce s’ouvre sur le titre Bande organisée, de la troupe phocéenne qui rend hommage à Jul célèbre rappeur Marseillais. Le clip vidéo de ce morceau qui a atteint des millions de vues et qui est déconseillé aux moins de 10 ans, brasse moultes clichés liés à la virilité masculine : belles voitures, fervents supporters de football, utilisation d’armes, goujaterie envers les femmes… Les comédiens bougent et dansent jusque sur les accoudoirs des spectateurs sur ce rythme entrainant et engagé qui donne le ton. Un début fracassant et prometteur dans lequel les comédiens occupent l’espace de manière remarquable, ce qui perdurera tout au long de la pièce. Il faut reconnaitre l’énergie fabuleuse dont font preuve les huit comédiens qui s’engagent corps et âme.
Les corps sont au centre de La Tendresse qui démarre sous forme de chœur, presque de crew intouchable. La bande est au cœur de ce spectacle et laisse son heure de gloire individuelle à chacun. Oscillant entre confessions aux autres et révélations en solitaire, chaque homme tente de trouver sa place et de s’accepter. Quelques comédiens, aussi danseurs, nous offre des moments de grâce. Breakdanser professionnelle, Junior Bosila Banya se suspend et lévite comme si son corps était absorbé par les airs. Natan Bouzy danseur de ballet casse les codes et virevolte avec légèreté. Danseuse de hip-hop bluffante, Naso Fariborzi hypnotise. Tel un kaléidoscope son corps se décompose à l’instar d’une image virtuelle qui disparaitrait, laissant place aux mots et effaçant le genre. La musique et la danse interviennent régulièrement comme l’exutoire des corps qui se révèlent, s’affrontent, se blessent. Chacun porte son corps comme un outil de liberté et d’expressivité intense, comme Tigran Mekhitarian, sensuel et séducteur ou Alexandre Liberati provocateur et éblouissant de vérité.
Une des première scène de la pièce est sans doute l’une des plus belle et signifiante. Nul besoin de mots. Revêtus d’uniformes militaires, les comédiens rejouent une scène de guerre au ralenti. Les identités sexuelles, durant les guerres, ont souvent été abordées du seul côté féminin, laissant dans l’ombre l’autre sexe. Les identités masculines, trop souvent réduites à l’expression de la virilité, ont pourtant été malmenées durant les guerres, fonctionnant au demeurant différemment pendant le premier et le second conflit mondial. Ce qui amène à s’interroger sur les paramètres qui construisent, dans les temps de violence, les identités de genre… Cette scène nous percute d’autant plus qu’elle nous rappelle à notre actualité et à l’engagement sans failles des civils ukrainiens.
Mais s’il est question de l’homme il est aussi question de la femme. Elle apparait déjà indirectement dans la scénographie qui représente un pont en béton et son entrée, semblable à un souterrain. Lieu symbolique de l’obscurité, de l’insécurité et de la possible agression. Les hommes s’expriment sur leurs rapports au sexe et à l’amour. Le plus frappant et inédit est le monologue porté par Djamil Mohamed, qui travesti en femme, rappelle le nombre de femme violée toutes les heures. Il évoque la construction d’un mur des victimes, tellement nombreuses, que le mur s’étendrait au point de raser les maisons, de faire disparaitre les villes… Pour que chacun réalise et que l’horreur prenne fin.