C’est au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, à l’occasion de la célébration des 400 ans de Molière que Lisa Guez présente On ne sera jamais Alceste, d’après Molière ou la comédie classique, de Louis Jouvet. Une création fine et perspicace qui valorise toute la complexité d’apprendre et surtout de toucher du doigt l’art de l’acteur.
Aussi loin de la doctrine que de la recette, Louis Jouvet tentait, par un dialogue incessant avec ses élèves, de leur faire sentir quel devait être le comportement du comédien dans l’exercice de son métier. Molière et la comédie classique, de Louis Jouvet retranscrit certains de ses cours très vivants autour de l’œuvre de Molière dont on célèbre les 400 ans. À travers les plus grandes scènes de notre théâtre, le grand comédien et metteur en scène traite notamment de la diction, de la respiration, de l’interprétation du personnage, de la situation dramatique, de l’état physique et psychologique du comédien.
« On ne sera jamais Alceste. Alceste est un personnage qui existe avant nous et qui existera après nous. A soixante-dix ans, quand tu seras un grand comédien et un grand homme, car il faut être un grand homme pour jouer Alceste, tu joueras Alceste, mais tu ne seras pas Alceste ; tu mourras et Alceste vivra. »
La metteuse en scène Lisa Guez s’empare du cours de Louis Jouvet autour du Misanthrope, de Molière et nous offre une fascinante leçon de Théâtre avec trois grands comédiens, sociétaires de la plus illustre troupe théâtrale au monde. Michel Vuillermoz, Gilles David et Didier Sandre rejouent la scène 1 de l’Acte 1 du Misanthrope, de Molière, entre Alceste et Philinte. Tour à tour ils incarnent Louis Jouvet pour pointer la multiplicité illimitée des interprétations et cette impossibilité à incarner autant Alceste que Louis Jouvet. Ils offrent aux spectateurs une pertinente démonstration de théâtre sur l’art du comédien, l’apprentissage du texte et la complexité du personnage.
Jouer une scène c’est d’abord la dire et selon Louis Jouvet le texte de théâtre est une prière qu’il faut crier partout et à toute heure. Il faut comprendre la réflexion du personnage et donc de l’auteur, saisir ce qui se cache derrière les mots.
« Mais prendre un texte, croire qu’on va, sur ce texte, trouver tout de suite le sentiment, ce n’est pas possible. Je parle d’un texte classique. Il faut retrouver cet état de l’auteur écrivant ; les traces de cet état sont dans l’écriture. »
C’est dans un décor épuré, car selon le maître, nul besoin de fioritures que les trois comédiens se replongent avec ludisme dans leurs jeunes années d’apprentissage et dans la recherche d’une vérité inatteignable.
Familière de l’écriture de plateau et célèbre pour Les Femmes de Barbe Bleue, Lisa Guez, offre un vaste terrain de réjouissance aux comédiens qui se prêtent avec malice au jeu du jeu. De la fausse note, à l’hésitation, aux ratés, ils se montrent ébranlables, capables d’oublier tous leurs acquis. Dans un état de disponibilité et d’innocence ils remontent le long des racines d’un rôle et nous présentent tout son processus de composition.
Chacun dans une énergie et une dynamique différente les trois compagnons honorent le métier de comédien et valorisent l’importance de la transmission. Michel Vuillermoz, 515ème sociétaire de la Comédie-Française campe un Louis Jouvet posé et méticuleux, à l’œil aiguisé et à l’ouïe fine. Gilles David, 527ème sociétaire et lui aussi professeur d’interprétation au Conservatoire nationale d’art dramatique supérieur interroge la place de l’homme dans le monde et ouvre le champ des possibles. Quant à Didier Sandre, 563ème sociétaire, il nous délecte de son hilarité et de sa juvénilité tout en jonglant avec une fragilité poignante.