Au Monde et La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce, de Joël Pommerat

Au Monde« J’insisterai toujours pour ne jamais cesser de laisser vieillir ce que nous faisons »

Etoile resplendissante depuis quelques années, Joël Pommerat est un de ces metteurs en scènes qui savent réinventer le Théâtre, un théâtre de la vie qui nous bouleverse et nous transcende. Depuis plusieurs saisons, nous avons été les témoins de ces moments suspendus et avec La Réunification des deux Corées, l’année dernière, c’est une intensité à jamais gravée dans nos chairs que ce créateur, atteignant le sublime, nous transmise.
Quelle délicatesse alors de faire revivre deux de ses spectacles créés il y a maintenant plusieurs années. Le niveau étant à son apogée, nous sommes, cette fois, déçus face à ce manque de caractère et ce trouble, cette confusion liés aux messages peu aboutis. Nous reconnaissons pourtant le style épuré et mystérieux de Pommerat, ainsi que cette mise en valeur du comédien, de l’humain dans son plus simple appareil, celui de la parole. Cependant, nous attendons avidement cette poésie si particulière, ces instants suggestifs et dramatiques qui font toute la force de son théâtre, ces moments de grâce qui nous transpercent.

Dans Au Monde, au Théâtre de l’Odéon, la puissance des mots est soulignée, le mutisme des uns et le silence des autres créent un malaise ambiant qui éloigne tous les êtres de la normalité. Des frontières apparaissent, mêlant imaginaire et dissimulation. À la recherche de l’autre, de sa réaction, de la vie, il y a ceux qui tentent d’échapper aux zones d’ombre du silence et de se forger leur propre identité. Entre convictions contradictoires et croyances étranges, de quels fondements est réellement constitué le monde qui nous entoure?
Happés par l’étrange atmosphère qui émane de la scène, toujours convaincus par le charisme atypique de ces fidèles comédiens de la Compagnie Louis Brouillard, nous peinons pourtant à pénétrer dans ce huis-clos hermétique et disparate.

La Grande et Fabuleuse Histoire du commerceToujours dans un univers intime et cloisonné, ici des chambres d’hôtels fondues dans la roche du Théâtre des Bouffes du Nord, La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce poursuit ce questionnement des apparences. Réflexion sur une société secrète, celle des vendeurs, et les stratégies dont ils doivent user pour vendre sans que le client s’aperçoive de son investissement: ne jamais se placer dans la position de marchand, faire croire à l’acheteur qu’on lui rend service, enfiler un masque et s’adonner aux pouvoirs usurpateurs qu’offre la confiance.
En confrontant deux périodes de trente années d’écart, le créateur nous montre l’évolution de ce système, la réaction de l’homme, plus sensible, seulement en apparence. Dans cette logique de vie autour de l’achat et de la vente, l’accent n’est pas assez posé sur la déshumanisation causée par cette société commerciale. Même si cette concentration de comédiens masculins est à la hauteur, ce théâtre de reconstitution manque d’un soupçon d’âme et d’approfondissement qui donnerait à la pièce d’autres allures que celles d’actions relatées. Le mécanisme est convaincant mais les personnages manquent parfois de relief dans cette dualité identitaire provoquée par leur profession.
Sentiment amer et frustration intense, nous n’en tenons pourtant pas rigueur au créateur.

Clin- d’œil à ses mises en scène passées, sorte d’étude comparative quant à l’évolution de son chemin dramatique; même si l’émotion tant attendue est restée cachée dans les coulisses, nous connaissons la valeur du théâtre de Pommerat. Cette force qui, jusqu’à présent, nous avait unanimement entraînés vers des confins bouleversants que nous avons hâte de retrouver dans ses prochaines créations.

Théâtre de l’Odéon

Au Monde, création de Joël Pommerat

Avec avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Lionel Codino, Angelo Dello Spedale, Roland Monod, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, David Sighicelli

En tournée à Marseille

Théâtre des Bouffes du Nord

La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce, création de Joël Pommerat

Avec Patrick Bebi, Hervé Blanc, Éric Forterre, Ludovic Molière
et Jean-Claude Perrin

Jusqu’au 16 novembre 2013

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