Cendrillon, de Joël Pommerat

CendrillonDepuis quelques années déjà, une lutte idéologique persiste au sein des Arts du Spectacle. D’un côté, ceux qui prônent un Théâtre à l’état pur, indépendant des autres formes et de l’autre, ceux qui valorisent la nécessité de la pluridisciplinarité. Intégrer la Danse, les Arts Numériques ou la Vidéo au Théâtre s’est répandu comme une mode fulgurante à laquelle rares sont les créateurs qui y dérogent. Cependant, à trop vouloir croiser et expérimenter, certains metteurs en scènes privilégient la forme à défaut du fond, alors inexistant. Joël Pommerat fait partie de ceux qui allient avec subtilité, raisonnement et perfection le Théâtre à d’autres Arts, ici, le Cinéma. Quelle alliance sublime, réflectrice d’un univers atypique, qui n’a pas encore trouvé son pareil ! Avec la collaboration de l’ingénieux Eric Soyer, il offre à la scène des Ateliers Berthier des airs de Méliès, nous rappelle une certaine Villa Arpel et nous renvoie, toujours dans un hommage au Théâtre, à la naissance de cet autre art sublime qu’est le Cinéma.

Après la création la plus bouleversante de la saison, La Réunification des deux Corées, Joël Pommerat revient avec son adaptation de Cendrillon, déjà présentée sur ce plateau en 2011. Comme à son habitude, il parvient, avec un minimum d’éléments de décor, mais un innovant travail sur la lumière, à créer une atmosphère atypique et sans égale. Dans le but d’aborder la question de la mort, il reprend le célèbre conte de Cendrillon et le remanie en une puissante version, certes plus moderne et risible, mais davantage ténébreuse et bouleversante. L’originale Deborah Rouach interprète Cendrillon, qui devient Sandra, pour finir Cendrier, une enfant terne qui se complait dans ce rôle d’esclave rabaissée et qui répond avec entrain aux pires tâches domestiques. Endossant constamment le poids d’une culpabilité infondée, elle s’inflige volontairement le plus mauvais des traitements afin d’expier ce qu’elle considère comme sa faute. Fière et désireuse de son sort, elle se retrouve enfermée et à l’écart d’une réalité tout aussi trompeuse et mensongère que celle qu’elle s’est créée. Jusqu’à ce que jaillisse de son armoire, la fameuse fée…

Au-delà de l’humour, incarné majoritairement par Catherine Mestoussis, la belle-mère, dont le jeu contrôlé et étudié au moindre sourcillement est époustouflant de charisme, l’ambiance angoissante, entremêle mystères et surprises. Loin de l’histoire célèbre du soulier de verre sur fond de chansons rêveuses, en décalage avec le cliché final de tous les contes, il s’agit, avant tout, de questionner le poids et l’importance des mots, ceux qui comptent. Ces mots qui vous hantent et déterminent votre destin et vos attentes. Plus loin que le langage se reflète le désir d’une honnêteté et d’un respect à appliquer envers soi-même. Belle leçon d’apprentissage que Pommerat véhicule à travers le thème de la mort dans le contexte de l’enfance. Peut-on se détacher de l’influence des mots ? Comment parvenir à accepter la souffrance et à tourner la page du passé afin de vivre dans le présent et vers l’avenir ? L’appréhension du temps est centrale dans cette création qui n’en oublie pas l’onirisme propre au conte, mais qui, ici, paraît plus rationnel. Happés par cette histoire bien terre-à-terre, le merveilleux subsiste et, bercés par la voix hypnotisante de la conteuse, nous sommes entraînés, avec force, vers des confins inconnus. Ceux d’un Théâtre brillant de clarté et de lucidité, un moment suspendu, au cœur de la fragilité humaine.

L’Odéon- Ateliers Berthier

Cendrillon, création de Joël Pommerat

Avec Alfredo Canavate, Noémie Carcaud, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Déborah Rouach, et José Bardio, Nicolas Nore

Jusqu’au 29 juin 2013

Retrouvez ma critique sur l’Huffington Post

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