Des arbres à abattre, de Thomas Bernhard par Célie Pauthe et Claude Duparfait

Des arbres à abattre« Car nous avons tous grandi dans l’artifice, dans l’irrémédiable folie de l’artifice. »

Le saisissant monologue acide de Claude Duparfait, incarne à la perfection le cri de l’indignation, propre à l’œuvre de Thomas Bernhard. Portant à lui seul, du haut de son fauteuil à oreilles la moitié Des arbres à abattre, le comédien narrateur, double éloquent de l’auteur, manie le langage comme une arme redoutable.Mêlant cynisme, humour et redondance, il nous entraîne avec charisme et conviction vers un univers de remise en cause totale de l’individu et de cette obsession mondaine pour un art superficiel. Eloigné depuis des années de la famille des Auersberger, il retourne trente années plus tard à leur fameux « dîner artistique », le jour même du suicide de Joana, une amie commune. Une jeune enfant qui avait le don de ne voir que le beau au milieu de toute la laideur ambiante. Un être merveilleux qui ne pouvait vivre que dans le conte, incapable de toute réalité. Homme amer, impuissant de réaction face à l’urgence du temps qui s’écoule, il ressasse ce qu’il vit comme un sacrifice imposé.

L’auteur aurait pu se contenter de ce soliloque plaintif, de cette critique de la société viennoise emplie de règlements de compte amusants, de cette voix dissimulée derrière ce fauteuil enfoui dans la nuit mystérieuse. Trop attaché à la force de la langue et aux paysages des mots, il transforme ce procès secret en une audience publique, marquée par l’entrée feutrée des quatre personnages dont le narrateur nous criait les portraits haineux d’artifices. Le spectateur se retrouve juge de toutes les précédentes accusations portées par cet homme à présent silencieux, confronté, enfin, à la réalité de l’autre qui contre toute attente, lui ouvrira les yeux.

D’une ambiance superficielle, dans laquelle régnaient narcissisme artistique et élitisme ridicule, le climat tend vers une sincérité vitale. Si le comédien invité au dîner est le premier à illustrer la bêtise humaine et le mensonge, reflet dissimulé de son rôle dans Le Canard sauvage, il est également le premier à souligner l’importance de l’art brut et fait tomber les masques. Le besoin de profondeur à l’état naturel, la nécessité de la quête artistique vers l’œuvre d’art, il faut tendre vers la vérité du monde qui nous entoure. Enfin, le rejet de l’autre ne signifie que le rejet de soi-même ; il est alors temps d’accepter et d’avancer. Il est temps de se sauver de justesse pour continuer à vivre. Quel beau souffle de vie porté par tous ces comédiens surprenants de mystère et d’authenticité.

Ces êtres qui se cherchent, s’observent et testent leurs limites, dans cet espace confiné, sur cet intriguant plateau que Célie Pauthe et Claude Duparfait ont voulu scène de questionnements et d’émotions. Il suffira d’une apparition, celle de la Joana, spectre disparu, qui revient hanter les vivants. Moment suspendu, ce film projeté sur une toile, frontière entre les deux mondes, n’est finalement qu’une explosion de vie qui leur rappelle la nécessité de s’ouvrir au monde et à l’Art.

Théâtre de la Colline

Des arbres à abattre, de Thomas Bernhard mise en scène de Célie Pauthe et Claude Duparfait

Avec Claude Duparfait, Laurent Manzoni, Annie Mercier, Hélène Schwaller, Fred Ulysse

Du 11 au 28 septembre 2013

Retrouvez ma critique sur l’Huffington Post

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *