Vaudeville à l’état pur ou comique de dissimulation d’une société bien lasse ? Dramaturge intemporel, tant son propos et son humour restent d’actualité, dans Le Prix Martin, Labiche nous dresse la satire d’une société bourgeoise, absorbée par les plaisirs de la chair. Noyés, dans un ennui profond, le sexe apparaît comme le seul exutoire qui permet de rester en vie, en attendant d’affronter l’indicible. Mélangeant adultères, mensonges et complots, agrémentés d’un tourbillon de plaisanteries et de légèreté, tous les mécanismes du vaudeville apparaissent, et, portés par de brillants comédiens, illuminent la scène du Théâtre de l’Odéon. L’action s’articule autour de trois couples, expérimentant, chacun à leur manière, la seule adrénaline qui leur reste. Les différents comiques, alliés à une forme de burlesque, conservent un ton très moderne qui séduit le spectateur et l’entraine avec gaieté et fantaisie dans cet univers de cocus lâches et ridicules. Tous les comédiens sont talentueux mais, Jacques Weber et Laurent Stocker, excellent à merveille dans l’art de l’ironie et offrent à la pièce une palette de grotesques, tous plus risibles les uns que les autres. Opposés par leur physique et leur caractère, proches de ces célèbres couples à la Laurel et Hardy, dans leurs attitudes et leurs phrasés peaufinés dans les moindres détails, ils apparaissent comme les piliers dominants et convaincants de ce rire qui envahit le Théâtre. Dans une mise en scène très dynamique, au service du texte, les personnages créaient un univers à part entière et font rejaillir du passé, la bourgeoisie oubliée, d’un XIXe siècle disparu. Maniant finesse et réalisme éloquents, le célèbre Peter Stein parvient, à partir d’un noyau central, à représenter une véritable société, composée d’électrons libres et dépendants qui gravitent et se divertissent, dans le seul but de tromper leur mélancolie sous-jacente. Toutes ces figures atypiques, désolantes mais attachantes, évoluent dans un espace très intéressant, dont la scénographie innovante et inhabituelle contribue au succès de cette pièce. Pourtant d’une simplicité évidente mais d’une ingéniosité indéniable, elle allie à merveille tout en créant le décalage escompté, le contemporain au classique. Ainsi, apparaît un plateau habillé d’un intérieur bourgeois, ou d’un hall d’hôtel confortable, surplombé dans la cage de scène, de photographies illustratrices des lieux traversés. Car il s’agit bien d’illustrations pour symboliser Paris avec son Arc de Triomphe ou encore la Suisse avec ses montagnes enneigées. Cependant, les déclinaisons de filtres et les traits énigmatiques de ces images, leurs apportent une dimension ambiguë, proche de la Bande-dessinée et du Cinéma. Ces dessins, pourtant seulement emblématiques, offrent à cet univers et à ces personnages, une pincée de fantastique, proche d’un imaginaire troublant, qui amplifie ce sentiment de microcosme isolé dans ses préoccupations cocasses et vengeresses. Tous les éléments du divertissement sont alors réunis pour contribuer à une réussite sans fausses notes. Un agréable moment de théâtre et d’humour, qui n’en oublie pas pour autant, le caractère satirique d’un Labiche, que Peter Stein et ses comédiens ont brillement cernés.
Théâtre de l’Odéon
Le Prix Martin, écrit par Eugène Labiche, mise en scène de Peter Stein
Avec Jean-Damien Barbin, Rosa Bursztein, Julien Campani, Pedro Casablanc, Christine Citti, Manon Combes, Dimitri Radochevitch, Laurent Stocker, Jacques Weber
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