Et si rien ne peut ramener l’heure/ De la splendeur dans l’herbe, de l’éclat dans la fleur/ Au lieu de pleurer, nous puiserons/ Nos forces dans ce qui n’est plus.
Le Théâtre d’Angelica Liddell est un théâtre qui est périlleux à raconter avec des mots, car c’est un théâtre qui se vit, une émotion qui nous bouleverse, une image qui reste gravée à jamais. Forte de ses névroses, usant à ciel découvert de cet art de la parole pour dénoncer et se dénoncer, elle crée un univers hors du commun, se distinguant du temps qui se fige aussitôt. Florilèges d’instants atypiques, les scènes s’enchaînent mais ne se ressemblent pas. Il y a dans cette mise en scène et dans la profondeur du propos d’Angelica Liddell une agilité à frôler les limites, sans jamais les franchir.
Todo el cielo sobre la tierra (el sindrome de Wendy) débute par une longue scène de cris et de masturbation qui fait trembler les murs de la Cour du Lycée St Joseph. Un soupçon d’indécence. Pourtant nous restons concentrés, comme déjà hypnotisés par l’aura de la scène. Une fois de plus, comme dans Casa de la fuerza, le corps est mis à l’épreuve et se confronte à la nécessité de vivre. Une vie qui s’est arrêtée subitement pour les 69 victimes de l’île d’Utoya. Coincés dans le pays imaginaire de Peter Pan, toutes ces Wendy pourront pourtant conserver leur jeunesse. En arrêtant de grandir, elles garderont le regard de l’autre, celui qui nous échappe au fil du temps qui passe, celui qui nous abandonne. Car c’est, avant tout, d’amour qu’il s’agit, d’un sentiment qui subsiste malgré la laideur du temps qui s’empare de notre corps et de nos désirs refoulés qui trouvent leur compensation dans un quotidien poussant parfois jusqu’à l’irréparable.
Il est question de l’abandon de l’autre, de cette peur de voir nos vies et nos désirs aspirés par la déchéance de notre corps destiné à pourrir et à nous éloigner de l’amour physique. Angelica Liddell aborde le sentiment de la perte en en parlant le plus simplement possible, en oscillant entre montées en puissances et magnifiques danses shanghaïennes. Elle nous terrorise avec la vision des rapports humains, nous glace avec ses ombres dépressives et son pessimisme récurent, mais, malgré tout, nous l’admirons, car elle nous donne à voir de la beauté.
Qu’importe la terre où l’on puisera le courage de vivre et sur laquelle on trouvera la présence de l’autre, ce qui importe est la poésie qui nous entoure, ce moment de grâce où, face à un tel spectacle, le mental lâche prise et se laisse aller à des émotions décuplées, provoquées par ce mystérieux mélange de laideur et d’étincelant, d’angoisse et de bonheur. Bouleversés face à ce Théâtre de la vie, le souffle coupé devant cette femme qui se donne corps et âme au nom de la passion, à partir de l’anéantissement, nous voyons s’ouvrir des chemins mystérieux vers des confins de pensées insatiables.
Programmé au Théâtre de l’Odéon du 20 novembre au 1er décembre
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