Le Yukon semble être à Sarah Berthiaume, ce que l’Indochine était à Marguerite Duras. Une terre d’inspiration dans laquelle elles se sont engouffrées, des recoins qu’elles ont explorés, des vies qu’elles ont croisées et des atmosphères dans lesquelles elles se sont noyées. « Larger than life », le Yukon de Sarah Berthiaume est un territoire reclus, aux frontières glaciales de l’Alaska. No man’s land, les peu d’habitants qui ont décidé de s’y enterrer, tentent d’avancer avec le peu d’envie qu’ils leurs restent. Yukonstyle confronte quatre vies, quatre destins et quatre voix qui entremêlent leurs histoires et leurs fantômes respectifs.C’est au cœur d’une atmosphère angoissante délimitée par les murs, noirs corbeaux, de la Petite salle du Théâtre de la Colline, que la libération de ces esprits provoquera le chaos. Un chaos matériel, une destruction sans limites du décor, qui symbolisera l’anéantissement du passé face à l’espoir du lendemain. Murés dans leur propre silence, prisonniers du poids de la culpabilité, les personnages se dissimulent derrière un rythme de vie monotone, un quotidien sans chaleur où le rapport à l’autre est difficile. Les sentiments sont cachés et les émotions enfouies. Chacun agit par devoir ou par habitude jusqu’au moment où l’inconnu déclenche la perturbation. Il s’agit de cette fille, qui ,elle, parle beaucoup plus que les autres mais détient comme eux le poids du remord et du doute. Elle bouscule ce présent sans futur et transforme le cours du temps. Tous tenteront alors de construire un avenir plus serein, loin de ce passé pesant et obsédant. Ces personnages atypiques de par leur vocabulaire singulier créaient une ambiance très marquée qui sort de l’ordinaire. Leur jeu très distinct les uns des autres, se complète et laisse entrevoir des personnalités mystérieuses et intrigantes, à tel point que nous oublions l’illusion propre à la pièce. Flore Babled, excelle dans son rôle de femme-enfant, aux allures de manga érotique naïve mais loin de l’être. Espiègle, pétillante et convaincante, cette époustouflante comédienne pleine de fraîcheur et de ressources, offre à Kate une présence sans égal et apporte un soupçon d’humour et de légèreté à ce climat pesant.
Plongés dans cet univers hors du commun, la mise en scène de Célie Pauthe, accroit la sensation d’un curieux voyage vers les confins de l’exil. Le froid et l’obscurité qui émanent du plateau, instaurent une sensation d’exclusion qui se répercute sur les spectateurs. Influencés par cette ambiance impénétrable mais pénétrante, un sentiment énigmatique s’empare de nous, nous ôtant toute forme de repères. Oscillant entre dialogues et narrations, ce dispositif amplifie l’impression d’un espace hors du temps, presque anormal. Pourtant les liens se tissent et l’espoir apparaît, mais le poids de toute cette atmosphère lourde et menaçante laisse des traces de trouble et de mal être au sein du public. La mise en scène et la scénographie créaient un langage tellement fort qu’il est difficile de revenir vers un optimiste sans faille, même si l’ouverture aux autres et l’acceptation symbolisent enfin la lumière au bout de chacun de leurs tunnels.
Théâtre de la Colline
En tournée au Théâtre Vidy-Lausanne
Yukonstyle, écrit par Sarah Berthiaume, mise en scène de Célie Pauthe
Avec Dan Artus, Flore Babled, Jean-Louis Coulloc’h, Cathy Min Jung
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