Vous avez un goût pour le théâtre sensoriel sans forcément mettre le langage, avec les mots, au cœur de votre travail.
J’ai été au Théâtre avec l’école, avant d’aller au Conservatoire et de décider d’en faire mon métier. Je n’ai jamais voulu monter de texte à la base. Je viens d’une culture théâtrale qui est plus liée à l’action, à l’observation du réel. Le théâtre est devenu un média, un médium qui regroupe pleins d’arts. Au début je ne savais pas si je voulais faire du cinéma, de la photo et ça a pris la forme théâtrale car c’est un endroit où il y a des gens devant des gens et rien ne remplace cela.
C’est le septième spectacle que vous montez. Je me souviens du Chagrin des ogres. Dans Notre peur de n’être on retrouve cette matière documentaire
Cette accroche au réel m’est nécessaire pour créer un spectacle. A partir de cet élément, qu’il s’agisse d’un voyage ou d’un carnet intime trouvé sur internet, on essaye de retrouver son propre tourment qui est universel, propre à l’être humain, même si la culture est différente et que nous sommes partis puiser à l’autre bout de la terre. J’avais besoin d’une dimension documentaire, presque autobiographique et j’espère que mon travail se dirigera plus vers l’anthropologie.
Les « Hikikomori » sont des personnes au Japon qui vivent dans la solitude et l’isolement, c’est un fait de société qui pour vous se répand de plus en plus ?
C’est un syndrome. La solitude existe depuis toujours, mais les gens savent de moins en moins être seuls, c’est de plus en plus tabou, comme si il s’agissait d’une crise intérieure profonde. Tout cela est très occidental, l’individu à l’air abandonné mais tout le temps hyper connecté, dans des villes surpeuplées. Le spectacle parle du fait de quitter les campagnes tout à coup et d’entretenir son rapport à la nature comme quelque chose d’utopique. C’est de la nature intérieure dont je voulais parler avec les Hikikomori., sans porter un jugement sur la solitude. J’ai essayé de fuir les clichés. Je crois juste que dans le spectacle il s’agit de quelqu’un qui ne veut pas être avec les autres car il refuse de monter dans le TGV. Or dans notre monde si nous ne montons pas dedans, on reste sur le quai. C’est une fascination que j’ai sur des parcours hors-monde, comme dans le spectacle Ghost Road, avec ces gens que j’ai filmé et qui avaient décidé de partir dans un désert. Le théâtre c’est l’espace du temps et du différent et nous sommes dans une crise du temps. Le théâtre est le bon médium pour donner de l’importance au silence par exemple.
Comment percevez-vous la jeunesse d’aujourd’hui et les rapports humains ?
J’ai du mal à mettre des mots là-dessus, c’est pourquoi je fais des spectacles. Je suis également moi-même dans une crise identitaire par rapport à cela. J’ai fait sept spectacles en quatre ans et demi, ce qui peut conduire au burn out. Je me demande pourquoi je n’arrive pas à me poser, il s’agit d’abord, d’une crise que je vis personnellement. Cette peur de n’être, ce besoin de travailler, cette fuite en avant qui n’est pas saine. Quelque part, tout cela est cathartique. Parler de la solitude sur un plateau, qui est le dernier endroit de l’expérience collective, quand il y a 500 personnes dans un gradin, il y a aussi 500 personnes très seules, les unes à côté des autres. L’idée c’est de partager une histoire intime avec eux. C’est pour cela que le théâtre est mon moyen de résistance. Annuler un spectacle est très grave car c’est le dernier endroit où nous pouvons faire de la résistance de façon poétique.
Quelle est votre vision du théâtre dans notre société ?
J’ai lu un petit mot après la première, en soutien aux intermittents français et belges. Je pense que dans cette crise des valeurs, le rôle de l’Art, de la Culture, le grand public ne le comprend plus. Si nous faisions un référendum démocratique demain pour savoir si oui ou non il faudrait que les intermittents aient un statut particulier, la réponse serait «non ». On peut alors s’interroger sur la démocratie, lorsque la culture est le ciment d’une civilisation. On parle de chiffres pour se défendre car ils permettent de rappeler que la culture est plus rentable que l’industrie automobile, c’est navrant d’en arriver là. C’est une boucle ou le citoyen doit comprendre que le rôle de l’artiste et ce depuis 2000 ans, est de venir poser une question et que le politique peut s’en emparer. C’est une opposition qui est populaire. Les opposants dans le gouvernement créent le débat et c’est ce qui fait avancer les choses. Mais l’artiste est un opposant sur la place public, il n’a rien à dire, il pose des questions, ce n’est pas un profiteur.
Retrouvez son portrait sur l‘Huffington Post