Probablement une des pièces les plus bouleversantes de noirceur d’Henrik Ibsen, Petit Eyolf nous dessine la mort d’un enfant de onze ans, noyé pour échapper à l’ignorance de ses parents. Paralysé depuis son plus jeune âge à cause de leur irresponsabilité, il erre et tente de trouver une place et de l’amour entre une mère égocentrique et un père absent qui échappe à toute cette réalité en se cachant derrière sa philosophie infructueuse.
Comme toujours chez Ibsen, le drame de la mort entraînera l’effondrement de la cellule familiale. Les parents devront payer le prix de leur faute originelle et oscilleront entre révélations envers eux-mêmes et culpabilité infinie. Malgré la souffrance, la haine et les mensonges, ils continueront à persévérer dans leur rapport au monde et s’ouvriront chacun de leur côté vers de nouvelles vérités.
La metteuse en scène Julie Bérès et la traductrice Alice Zeniter, optent pour une traduction relativement moderne afin de renforcer une possible identification à cet enfant ignoré et inassumé. Modernité qui est omniprésente dans la scénographie et offre à la scène du Théâtre des Abbesses, une dimension onirique et contemporaine, loin de l’univers norvégien du XIXe siècle. Ainsi, la famille évolue dans une maison bourgeoise et à la mode, le petit Eyolf étant enfermé dans sa chambre, un gros cube en verre rempli d’énormes jouets, un espace coupé du réel, qui révélera les jardins secrets des personnages. L’onirisme se répandra jusque dans la mise en scène où les apparitions et postures des personnages, amplifieront le climat inquiétant et cauchemardesque.
Car s’il y a bien un aspect réussi, il s’agit de cette ambiance inconfortable et terrifiante qui prend forme et s’installe au fur et à mesure de la catastrophe. Il n’y a pas de pire tragédie, de pire horreur que la mort de son enfant et toute cette atrocité éprouvée se répandra comme un venin au fond de chaque spectateur. Une déchirure que la mère, affreusement hystérique au départ, exprime avec profondeur et sincérité, dans une démarche où elle semble vouloir accepter sa part de responsabilité.
Le point noir reste cependant une inégalité permanente dans les interprétations d’Anne-Lise Heimburger et Gérard Watkins, qui empêchent le spectateur de rester connecté du début à la fin. Durant toute la première partie, la mère est dans le sur-jeu et dans une exagération provocante, injustifiée et lassante, peut-être trop moderne et loin d’Ibsen justement. Quant au père, il semble insipide, dans une neutralité de tons volontaire et assez déroutante, proche de l’insensibilité. Il semble ailleurs, déconnecté de toute la monstruosité de la situation. Cette instabilité freine alors notre envie d’empathie et instaure un phénomène de yoyo qui nous plonge au cœur de leurs émotions, pour brusquement, nous en sortir et nous tenir à distance de toute cette colère dévastatrice.
Théâtre des Abbesses
Petit Eyolf, texte d’Henrik Ibsen et mise en scène de Julie Berès
Avec Valentine Alaqui, Sharif Andoura, Béatrice Burley, Anne-Lise Heimburger, Julie Pilod et Gérard Watkins
En tournée:
Du 19 au 23 janvier 2015 à la Comédie de Caen, Centre Dramatique National de Normandie
Du 4 au 15 février 2014au Théâtre de la Ville à Paris (Théâtre des Abbesses)
Les 18 et 19 février 2015 au Centre Dramatique de Haute-Normandie Petit-Quevilly Mont Saint Aignan
Les 26 et 27 février 2015 au Grand Logis à Bruz
Le 5 mars 2015 au Théâtre du Pays de Morlaix
Les 11 et 12 mars 2105 à la Comédie de Vaence – Centre Dramatique national
Du 17 au 21 mars 2015 au Théâtre des Célestins à Lyon
Les 24 et 25 mars 2015 à l’Espace des Arts, scène nationale Chalon sur Saone
Les 31 mars et 1e avril 2015 au Parvis, Scène nationale de Tarbes
Le 10 avril 2015 au Théâtre Gérard Philipe de Champigny
Le 23 avril 2015 au Théâtre de la Madeleine à Troyes
Le 28 avril 2015 à Transversales à Verdun
Le 12 mai 2015 au Théâtre Jean Lurçat, scène nationale d’Aubusson
Du 19 au 22 mai 2015 au Théâtre National Bordeaux Aquitaine – Centre Dramatique National
Le 2 juin 2015 au Granit, Scène nationale de Belfort