Accomplir le pire par amour, s’attaquer à l’intouchable et user de tous les vices pour récupérer la moitié qui lui est due. Autant de thèmes qui sont abordés dans « Les Eaux lourdes » de Christian Siméon. Un drame infanticide qui dépasse toutes les limites du supportable, une noirceur et une poésie qui nous saisissent au plus profond de nos chairs, un combat démarre, quels en seront les vainqueurs?
Mara, « mort » en bouddhiste, est cette mère manipulatrice, cette descendante en pleine Résistance de la lignée de Médée, une femme proche de la démence, qui a noyé son premier fils afin d’effacer le visage de celui qu’elle aimait et qui l’a quitté. Malheureusement, les peines s’additionnent et la souffrance résultant du manque de l’autre ne cesse de s’accroître. Car elle aime d’un amour mort mais sans limites, plongée dans un gouffre passionnel, en proie au désespoir, elle lancera la partie et abattra ses pions un à un.
Des pions qui ne sont autres que ceux qui l’entourent, à commencer par Ian, son dernier fils, le survivant illuminé et craintif, une machine étudiée pour être au service de sa mère prête à tout, même au pire, pour récupérer ce Pierre trop longtemps éloigné. Un Pierre sur lequel elle garde, malgré son rejet et son dégoût, une emprise certaine, renversant sur sa route jusqu’à Alix, ce ventre sec qui tente d’éloigner Pierre de cette spirale inévitable.
Une histoire de pertes et de confrontations, une intrigue atroce mais poignante qui bouleverse et interroge sur les frontières que chaque personnage franchira à sa manière. Des personnages extraordinaires de richesses et d’intensités. Des comédiens épatants et saisissants qui bousculent la scène et qui connectés à une énergie troublante de réalité et de conviction, transgresseront tout.
Celle qui nous époustoufle c’est Elizabeth Mazev qui illumine le plateau et attire le regard sur ses différentes facettes de mère, de femme et de comédienne. Débordant d’un dynamisme stupéfiant et imperturbable, elle mène sans relâche sa quête et son combat, rendant hommage au théâtre et la liberté de jeu qu’il permet. Un jeu qu’elle mène sur de nombreux fronts, car se mettre en scène est incontestablement une des spécialités de cette Mara qui tourne tout en dérision et en tragédie afin de mieux dissimuler ses abominations. De plus, ses représentations et ses numéros perpétuels, sont renforcés par le mise en scène signifiante de Thierry Falvisaner qui multiplie les mises en abîmes théâtrales, au service de la comédienne. Mara est souvent filmée, son visage projeté sur un écran, se mirant dans un miroir, reflet de sa vie qu’elle donne en spectacle. Ce dispositif amplifie sa puissance et sa domination, mais aussi son sortilège, c’est elle la reine de ce funeste bal, l’objet central de toutes les curiosités, mais il offre également à la pièce un humour clownesque et une légèreté nécessaire face à tant d’effrois.
À ses côtés, sous sa coupe, Arnaud Aldigé qui joue ce fils automate hanté par la peur de l’autre, réduit à une mémoire sans limites, à un être fragile et conditionné qu’il interprète avec beaucoup de repliement, émouvant de finesse et de vulnérabilité. Un comédien qui parvient à s’effacer au service de ce nouveau visage d’autiste, cette figure presque déshumanisée. Son seul soutien reste Julie Harnois, Alix, un substitut maternel qui apparaît comme le seul être sain et censé de ce vaste complot. Une comédienne humaine, sensible et combative. Une femme qui tente de sauver ce Pierre que tout le monde s’arrache. Un homme meurtri mais loin d’être infaillible, interprété avec beaucoup de douleur et de résistance tremblante par Christophe Vandevelde, un Jason victime de la vengeance déraisonnée de la femme qu’il a abandonné.
Les Eaux Lourdes, texte de Christian Siméon mis en scène par Thierry Falvisaner
Avec Arnaud Aldigé, Julie Harnois, Elizabeth Mazev, Christophe Vandevelde
Jusqu’au 4 avril 2015