Que retenir d’Intérieur, de Maurice Maeterlinck, monté par Nâzim Boudjenah, au Studio de la Comédie-Francaise ? Que le metteur en scène a osé relever un défi compliqué en portant ce texte symboliste sur une scène. Un texte pur et délicat, dont les silences énigmatiques en disent long sur la sensibilité de la situation.
Un vieux paysan appelé « grand-père », accompagné d’un jeune homme élégant, attendent, dehors, devant une maison, à la tombée de la nuit. Comme hypnotisés par l’intimité de la famille qui habite ici, ils les observent vivre dans le calme. Ils attendent de trouver la force et le courage d’entrer, pour leur annoncer la mort d’une de leur fille, retrouvée noyée. Admiratifs, touchés et peut être envieux, de l’harmonie et de la chaleur qui règnent dans ce foyer, ils ne parviennent pas à frapper à leur porte. Quel moment choisir pour annoncer le pire ? Comment assumer la responsabilité de décider de l’horreur et d’être le maître du temps?
Maeterlinck met en valeur la scission entre l’espace intérieur, encore ignorant et rassurant, et l’extérieur, le lieu de toutes les influences et de toutes les peines. La maison comme cocon de protection contre la violence du monde. Il s’agit de saisir toute l’importance et le poids de ce moment T, cet instant de basculement, qui en une seconde abattra les plus heureux. Un propos poétique, qui prend le temps, à travers de longs silences, à estimer l’autre et le prix d’une existence.
Ce texte, plus propice à être lu et que l’auteur considérait comme du théâtre de marionnettes, nécessite une dynamique dans ses silences, qui sont présents pour disséquer les âmes. Ici, les silences sont lourds, ils laissent place à l’ennui et perdent les spectateurs. Le vide apparaît, à défaut d’une élévation de l’esprit.
L’interprétation touchante de Thierry Hancisse rattrape un peu la désincarnation des autres comédiens. Il interprète avec fragilité et pudeur, ce vieil homme, compatissant et émerveillé devant ce bonheur familial, qu’il se prépare à anéantir, en annonçant le pire. À ses côtés, son fils, Pierre Hancisse, modèle de droiture, semble perdu et dépassé. Quant à Anna Cervinka et Anne Kessler, elles emploient un ton emphatique dérangeant. Elles s’enferment, surtout la première, dans une mélodie hors de propos.
La réussite de cette mise en scène est indéniablement le décor de Marc Lainé et Stephan Zimmerli, qui sont également le duo de scénographes de l’actuel Dernier testament, de Mélanie Laurent à Chaillot. Les murs de la petite scène, sont occupés par une projection vidéo, assez figée, dont les traits nous rappellent des estampes et des bandes dessinées japonaises. La maison est entourée de nature et d’une rivière en mouvement. Des ombres s’activent à l’intérieur de la demeure. Le père est au coin du feu, la mère berce son enfant et leurs deux filles brodent. L’arrivée des comédiens sur le plateau est figurée par des petits personnages, animés, à leur effigie, qui s’approchent de plus en plus du devant du paysage, pour sortir de l’écran. Rêve ou réalité ? Le songe nous envahit et nous plonge dans un espace intemporel, suspendu et onirique, qui comble le puits des silences morts.