« Merdre » Ainsi débute « Ubu sur la butte » de l’écrivain Alfred Jarry, connu pour son théâtre absurde et son Père Ubu. Une absurdité au service de la bêtise humaine et de l’homme avide de pouvoir. C’est ce ridicule à outrance qu’Olivier Martin-Salvan, Thomas Blanchard, Robin Causse, Mathilde Hennegrave et Gilles Ostrowsky mettent en avant dans « Ubu »leur création collective, qu’ils présentent au Théâtre des Bouffes du Nord.
En 2012, Dan Jemmett enfermait le Père Ubu dans une cage de bordel, lui offrant le costume d’un mac. L’année suivante, Alain Timar multipliait les Père Ubu et les Mère Ubu, avec une troupe de comédiens roumains. Aujourd’hui, Ubu, devenu roi, assoit son trône au milieu d’un assemblage de tapis de gymnastique, espace du ring et de l’affrontement. Les spectateurs sont dans un dispositif quadri frontal, leur attention est au cœur de cette comédie humaine et bouffonne. La lumière de la salle reste allumée, nous donnant l’impression qu’au-delà d’être spectateurs, nous sommes tous concernés par cette mascarade. Par cette démesure et ce grotesque ? Nous nous sentons pourtant bien loin de cette situation clairement théâtrale et de ces personnages carnavalesques. Nous autres, humains, en effet visés par cette satire sociale chère à Alfred Jarry, qui, derrière ces obscénités et sa légèreté, dénonce et critique l’homme trop gourmand de souveraineté. C’est cette bestialité à l’état brut et le burlesque qui l’entoure qui sont ici mis en avant. Montrer l’homme primaire et infantilisé, en axant tout sur le rire et le ludique.
La scénographie de Yvan Clédat et Coco Petitpierre, se prête parfaitement au texte. Le Père Ubu se comporte autant comme un enfant que comme un conquérant. Il ressemble au héros bête et raté d’un conte. Les tapis qui jonchent le sol, comme un tatami, sont remplis de modules de gymnastique de toutes formes et de toutes tailles. Un vrai équipement sportif ! Les comédiens s’en servent pour créer des décors et des objets. Un vaste champ de bataille et de pagaille, une cour de récréation où tout semble possible. L’imagination est décuplée, le décalage humoristique renforcé. Tout est prétexte à l’ironie et à l’amusement, même si en toile de fond, les personnages prennent l’arrivée de la guerre contre les Russes, très à cœur.
Le jeu sous toutes ses formes est le noyau de ce spectacle qui sert le théâtre encore et toujours plus loin. Les comédiens, tous excellents dans leur corporalité, choisissent une attitude et se servent de leurs caractéristiques physiques pour revêtir des caricatures d’Ubu et de sa cour. Cinq comédiens, dont quatre hommes, en combinaisons moulantes, parés d’accessoires, qui ondulent, courent, hurlent et font des roulades. « Comme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée ». Thomas Blanchard, qu’on avait laissé, il y a quelques mois, dans le froid du Groenland, conserve une excentricité et une singularité qui lui sont naturelles. Chétif, le cou enfoncé, les épaules relevées et l’œil vif, il gambade comme un cabri, cheveux au vent. Avec lui, Robin Causse, qui nous surprend en se détachant de la sobriété à laquelle il nous avait habitués dans « M’man ». Il se lâche et joue de sa taille et de sa finesse pour gigoter dans tous les sens. Le troisième larron, surement le plus allumé, est interprété par Gilles Ostrowsky qui grimace à foison. Les yeux écarquillés, la langue pendue, il semble avoir le comique dans la peau. Olivier Martin-Salvan est un Père Ubu grossier et invraisemblable, à l’image de ce que dépeint Jarry. Il retranscrit avec sérieux et conviction, la sottise, le grivois, la bestialité et le saugrenu. « Apportez la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et la trique à Nobles. Ensuite faites avancer les Nobles ». Il utilise et découvre, sans complexe, ses rondeurs et sa pilosité, au service de ce nigaud excessif et soi-disant sanguinaire. Mathilde Hennegrave est sa femme. Une Mère Ubu imposante et provocante, une guerrière virile qui fait régner sa loi.