À la sortie des Ateliers Berthier, après avoir assisté à Songes et Métamorphoses, mis en scène par Guillaume Vincent je n’avais qu’un mot en tête : désorienter. A quoi avait-on assisté ? Pour la première fois je trouvais curieux d’aller voir des gens jouer devant moi. De rester assis, dans une salle, à regarder des gens travailler devant nous et devenir quelqu’un d’autre. Étrange que des personnes fassent cela pour nous… L’explication à ce sentiment déstabilisant m’est parvenue le lendemain : il naissait du processus de mise en scène et du tour que nous joue le metteur en scène Guillaume Vincent, brillant enchanteur.
Songes et Métamorphoses, inspiré d’Ovide et de Shakespeare, se divise en deux temps. La première partie concerne cinq mythes des Métamorphoses. Pendant deux heures, une quinzaine de comédiens oscillent entre réalité et fiction, théâtre amateur et illusion. Du théâtre à l’état pur. Tous les mécanismes, la liberté et les possibilités inhérents à cet art, sont au cœur de ce spectacle. Il s’agit d’une déclaration au théâtre, vaste terrain de jeu, dans lequel le metteur en scène enchaîne les mises en abîmes et interroge ce qui fait théâtre. Pareil à La Vie est un Songe, de Calderòn, nous ne savons plus ce qui distingue la réalité de la part d’illusion. Qu’est ce qui fait vraisemblance ? En quoi pouvons-nous distinguer le jeu du songe ?
Guillaume Vincent brouille les pistes et joue avec les codes dramatiques. Il décortique la fabrication du théâtre, mêlant répétitions, spectacles scolaires de fin d’année et mythes à la sauce contemporaine. Le mythe part toujours du comédien, ce qui renforce le trouble de la métamorphose. Narcisse est interprété, au premier degré, par des enfants d’école primaire, dans un décor en carton-pâte. Hermaphrodite est illustré par deux silhouettes nues et muettes, comme un tableau lointain, une vision soudaine. Myrrha débute dans un cours de théâtre donné à des Lycéens qui doivent interpréter certaines métamorphoses. Pygmalion naît au cœur d’une troupe professionnelle, inspiré par la solitude d’un détenu. Quant à Procnè, la métamorphose la plus violente et la plus perturbante, elle trouve son inspiration dans le refus d’une comédienne à interpréter un membre de sa famille. Elle préfère interviewer la femme de ménage du Théâtre. Une rencontre qu’elle
relatera à la première personne. Au fur et à mesure, elle glissera vers Procnè qui retrouve Philomèle, sa sœur disparue, violée par son époux Térée, le roi de Thrace qui lui trancha la langue pour l’empêcher de dévoiler son crime. Furieuse, Procnè se venge en tuant son fils. Elle cuisinera les membres de son enfant, qu’elle servira à son époux. Térée, fou de rage, poursuivra les deux sœurs, qui se sauveront et se métamorphoseront en oiseaux. Chez Guillaume Vincent, l’ambiance est sombre et inquiétante. La maison de Procnè ressemble à une grotte insalubre qui mêle vice et violence. Térée et Procnè habitent dans le nord de la France et semblent issus d’une classe populaire. Ils ont deux enfants qui passent leur soirée avec leur tata au loto. Pendant ce temps, Procnè, vétue d’une opulente robe noire de contes, s’apprêtent à célébrer ses dix ans de mariage. Débarque son mari, en jean et baskets, un mélange de beauf campagnard et de psychopathe silencieux qui s’amuse avec sa carabine. L’atmosphère est glaçante et Emilie Incerti Formentini nous bouleverse. Dans une volonté d’altérer les frontières, cette métamorphose est la plus convaincante. Elle clôt le chapitre des Métamorphoses en créant le désordre et la perturbation. Nous abordons l’entracte, incertains, perdus dans une brume qui nous ôte tous repères. C’est ici, dans ce brouillard, qu’opère toute la magie de Guillaume Vincent qui réussit son pari en réinterrogeant toujours plus le périmètre infini du théâtre.
La seconde partie, Le Songe d’une nuit d’été, est moins percutante, car plus attendue, mais sans elle, Les Métamorphoses perdraient de leur singularité et de leur effet. Guillaume Vincent poursuit sa démarche en poussant toujours plus loin les capacités du théâtre. Le Songe d’une nuit d’été, pourrait être divisé en trois parties distinctes qui se joueraient en parallèle : Titania Reine des fées et Obéron le Roi des fées, le quatuor amoureux Lysandre, Hermia, Démétrius et Héléna et enfin les artisans qui s’improvisent comédiens et tentent de monter Pyrame et Thisbé. Tous ces personnages sont réunis dans un lieu commun mais ils sont mis en scène différemment pour continuer à semer le trouble entre illusion et vérité. Titania et Obéron sont interprétés par deux femmes qui se querellent sur des airs d’opéra. Les quatre jeunes, fougueux et épris de désirs, se rapprochent du théâtre classique. Quant aux artisans, leur langage est moderne mais ils s’inscrivent dans le contexte de l’époque avec le mariage du Duc et de la Duchesse d’Athènes, que l’on aperçoit en tenue de chasse, comme si on se retrouvait subitement en Bavière. Un perpétuel décalage se créait, apparentant le théâtre à un puits sans fond dont les univers spatiaux temporels se multiplieraient en parallèle. Puck, le personnage commun à toutes ces aventures, clôture le spectacle, fidèle à la pensée de Guillaume Vincent « Ici vous n’avez fait que sommeiller. Lorsque ces visions vous apparaissaient. Et ce thème faible et vain. Qui ne crée guère qu’un rêve. Gentils spectateurs, ne le blâmez pas. Pardon, nous ferons mieux la prochaine fois. »
Humour, dynamisme et passion sont au cœur de ces mises en scène. Tout est au service du théâtre même la scénographie. Les images s’incrustent les unes dans les autres. Tout est prétexte à la scène de théâtre, au jeu et au travestissement. Que ce soit la scène des Ateliers Berthier, ou encore une scène en hauteur, posée sur le plateau. Des encadrements de scènes tombent des cintres, des portes apparaissent, des chaises s’alignent, des silences se font. Tout le théâtre est convoqué. Quant aux comédiens, qu’ils jouent leurs propres rôles ou qu’ils interprètent leurs personnages, ils jouent sans cesse. Un sentiment de gêne apparaît parfois, dû au fait que nous assistons à des répétitions si proches de notre quotidien, que nous n’avons plus l’impression d’être au Théâtre ni d’être légitimes. Défi relevé une bonne fois pour toutes pour le malicieux et innovant metteur en scène Guillaume Vincent et ses excellents comédiens. Une pensée particulière pour Gérard Watkins qui endosse à la perfection tous les costumes, du professeur de théâtre au folklorique Puck.