Pendant deux jours, le Thinker’s Corner, de Belgique, s’est installé au Théâtre de la Bastille, à Paris. Nul besoin de réserver sa place et de payer un billet. Cette manifestation ludique et philosophique s’inscrit dans l’espace public et s’adresse à qui veut bien s’arrêter et prendre le temps d’écouter.
Un premier pupitre se trouve devant le Théâtre, sur le trottoir, à quelques mètres des passants, curieux, qui s’approchent l’air de rien. Le second est à l’intérieur du Théâtre, dans le bar. À mon arrivée, Emilienne Flagothier prêtait sa voix à Jacques Derrida, au sujet de l’amour. Le principe est simple et participatif. En haut des pupitres, défilent des mots lumineux. Sur chaque pupitre est posé un iPad avec l’image d’une roue, comme une cible de fléchettes, proposant une multitude de thèmes : absence, arbre, blancheur, corps, eau, habitude, prolétarisation, tristesse, vie, résistance… L’intervenant propose à un volontaire, dans le public, de choisir un mot, relié à un court texte. L’espace de deux à cinq minute, le comédien incarne un philosophe, un psychanalyste, un compositeur, un politique, un auteur, un anthropologue ou encore un botaniste. Il adopte son ton, prend son accent, dessine une attitude.
Se créait une traversée des pensées fondatrices, qui réinterrogent le monde, sans jugement. Mes allers et venues entre intérieur et extérieur du Théâtre, ont placés sur ma route plusieurs réflexions existentielles. Joan Tronto, met en valeur l’impact de l’Histoire sur les hommes et les relations que nous créons avec l’autre selon son passé historique. Le cinéaste Bill Viola, s’intéresse à l’instabilité, en se penchant sur l’importance de la transition. Sur ce moment d’entre deux, qui créait la coexistence entre les êtres et les éléments. Un entre-deux qui se meurt dans notre société trop catégorique et figée. Dans un autre discours, il insiste sur l’attention qu’on accorde aux choses dites sans valeur monétaire. Il valorise l’importance du privé, d’un trésor irremplaçable qui relève de notre propriété. La voix la plus retentissante, dans le contexte actuel, fut celle de Gilles Deleuze avec ses paroles résonnantes sur la Gauche. « Être de gauche, c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi ; être de droite c’est l’inverse ». Pour lui, être de gauche n’est pas une affaire de gouvernement mais de perception. Être de gauche c’est ne pas cesser de devenir minoritaire.
Nous repartons nourris de ces desseins qui poussent le raisonnement au-delà de l’expérience de l’instant.