À quand la télé réalité sur un plateau de Théâtre?
Plus les années passent et plus la frontière entre les arts devient poreuse. Il est rare à présent, de se rendre dans un Théâtre pour n’entendre que celui-ci, sans aucune autre discipline technique ou vivante, qui intervienne. Le théâtre s’enrichit de la danse, de la musique, des arts plastiques. Les espaces de créations se mêlent et se répondent, pour refléter au mieux le monde qui nous entoure et créer l’émotion. Depuis plusieurs années, la mode est aux écrans, prisme biaisé, aux points de vues orientés et à la spontanéité absente. Des images omniprésentes, qui envahissent de plus en plus les scènes de Théâtre, pour le meilleur et souvent pour le pire.
Aux Bouffes du Nord, Katie Mitchell, présente son adaptation du roman de Marguerite Duras : La Maladie de la mort. Un homme attend, dans une chambre d’hôtel, au bord de la mer. Chaque soir, une femme vient lui rendre visite. Il la paye pour qu’elle lui obéisse sans retenue, en silence. Il explore son corps nu sans relâche, à la recherche de quelque chose de disparu. Cet homme souffre de la maladie de la mort. En achetant ce corps, libre, respirant de désir, il tente de se débarrasser de la fatalité. Il ne peut pas aimer. Il ne ressent ni désir, ni amour. Incapable de construire avec l’autre, il s’acharne à créer une émotion en abandonnant son corps, dans celui de cette femme, capable d’aimer. « Vous n’aimez rien, personne, même cette différence que vous croyez vivre, vous ne l’aimez pas. Vous ne connaissez que la grâce du corps des morts, celle de vos semblables ». Il s’agit d’une situation très intime et délicate, dans laquelle le texte a davantage de résonnance que l’action.
Sur le plateau des Bouffes du Nord, la chambre d’hôtel et le couloir, sont surplombés par un écran, sur lequel est diffusé la pièce, filmée en direct. Des régisseurs son et vidéo sont présents, en continu, au milieu du décor, pour retranscrire toute l’action. Nous sommes au cœur d’un studio de cinéma, face au tournage d’un film. Les deux comédiens Laetitia Dosch et Nick Fletcher, sont dissimulés dans une pénombre inconfortable qui force le spectateur à être rivé sur l’écran pour avoir une once de visibilité. Nous sommes alors soumis au point de vue, à l’orientation de la caméra. Notre œil n’est plus libre de flâner à sa guise, sur l’élément de notre choix. Tout est prévu, cadré, orienté. Les techniciens dissimulent complétement les comédiens, mettant en avant tout le dispositif et leur matériel, à défaut de ce pour quoi nous sommes ici : une pièce de théâtre !
Le mystère du texte de Duras s’évapore. Les comédiens sont insaisissables et semblent lointains aussi bien corporellement que dans leurs interprétations. L’accès au plateau et à l’art vivant semble condamné au profit de toute cette forme visuelle qui nous révolte.