Cette année, c’est Thomas Jolly qui ouvrait le bal de la 72ème édition du Festival d’Avignon, dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. Le jeune metteur en scène quitte Shakespeare pour s’attaquer au Thyeste, de Sénèque. Entouré d’une équipe solide, il créait une esthétique folle d’élégance et un authentique moment de théâtre.
Dans Thyeste, l’essence même de la tragédie est invoquée car c’est par un crime qu’en sera vengé un autre. Florence Dupont nous facilite l’accès au texte avec une traduction claire et limpide. Les mots de Sénèque résonnent dans toute l’immensité du Palais des Papes, dotant les personnages d’un profond vide intérieur. Un ping-pong s’installe entre l’infiniment petit, l’intime, et l’infini illimité de l’univers et de la catastrophe. Au-delà de l’homme, du roi, toute l’humanité est concernée par ce crime fratricide de Thyeste envers les enfants d’Atrée qu’il lui servira à dîner. L’ordre établi est bouleversé et la lumière ne brillera plus longtemps dans ce palais infecté d’insectes et maudit par les dieux.
En s’offrant le rôle de Thyeste, Thomas Jolly signe sa plus belle interprétation. En proie à ses désirs meurtriers, il est rongé par deux voix intérieures entre lesquelles il jongle habilement. Maître affirmé de ses actes les plus atroces, il fait preuve d’un sang-froid inégalable.
Le seul bémol serait d’avoir adouci l’horreur et la monstruosité en plaçant le duel fraternel dans un rapport puéril et capricieux, ce qui réduit la portée du cannibalisme. La vengeance, aussi terrible soit elle, est trop anecdotique.
La force de ce spectacle réside dans l’univers que le metteur en scène et son équipe ont conçu. La Cour d’honneur est semblable à un no man’s land empoisonné, dans lequel trônent les vestiges des membres arrachés et calcifiés des victimes sacrifiées. Sylvette Desquet a créé des costumes raffinés, à l’identité originale, proches du conte. Thomas Jolly fait figure de Petit Prince moderne avec son costume jaune, habillé de papillons noirs, sa couronne verte en plexiglas et son corps recouvert de tatouages mystiques. Annie Mercier, accompagnée de ses sbires fantomatiques, est une furie exceptionnelle, au port de tête royal et à l’allure tribale. Une image époustouflante reste gravée dans la mémoire du public : celle d’Eric Challier un Tantale gluant, au sublime costume vert pailleté, brillant de mille feux, qui surgit, comme par magie, des bas-fonds humides des Enfers. Un monde fantastique, dans lequel une table de plusieurs mètres de longueur, nappée du même tissu blanc brodé de fleurs que les vêtements des deux frères, suffit à faire sensation. Les lumières en masse et criardes jaillissent et fusent dans toutes les directions pendant 2h30. Elles rappellent la présence des dieux et l’arrivée fulgurante du chaos qui pourchasse le soleil.