Avec Kingdom présenté à L’Odéon-Théâtre de L’Europre, l’autrice et metteuse en scène Anne-Cécile Vandalem clôture son travail autour des populations isolées. Une magnifique trilogie qui explore des territoires reculés peuplés d’histoires sombres et d’êtres fragiles, qui tentent d’accéder à une humanité qui leur échappe. Un dernier volet puissant et sublime !
Inspiré du documentaire Braguino, de Clément Cogitore, Kingdom nous emmène en Sibérie pour rencontrer et filmer une famille qui vit depuis des décennies au fin fond de la taïga, en autarcie complète. Une famille qui a fui le bruit du monde et reconstruit un mode de vie idéalisé. Une barrière les sépare de leurs voisins et cousins ennemis, qui encouragent les puissants, à venir braconner la forêt en hélicoptère. La famille est alors rattrapée par tout ce à quoi elle tentait d’échapper. Le pire de la civilisation s’introduit sur leurs terres. Comme au Far-West, celui qui possède le plus se permet le pire.
Kingdom aborde l’importance du rapport à la nature et l’impossibilité de vivre en paix, sur fond de conflits générationnels. L’homme doit apprendre à coexister avec le milieu naturel, trouver un équilibre, réduire sa consommation. Mais cela n’est pas suffisant. La construction d’une vie idéalisée, même loin d’une société aspirante, doit être protégée de l’autre. Dans Kingdom l’utopie espérée n’aura pas lieu. Les réserves seront pillées et la survie menacée. Quel futur peut-on alors transmettre à nos enfants, aux générations de demain ?
Anne-Cécile Vandalem s’empare de ces éléments tragiques et créait un spectacle d’une beauté et d’une puissance sidérante. Il n’appartient qu’à quelques metteurs en scène, ce talent de créer des mondes, des gouffres infinis. Anne-Cécile Vandalem fait partie de ces artistes qui chahutent le spectateur et partage avec lui une poésie mélancolique.
Elle créait des endroits spectaculaires avec des scénographies toujours plus réalistes. Le plateau des Ateliers Berthier est ainsi recouvert d’une forêt et d’une cabane en bois, entourées d’une rivière sur laquelle naviguera une barque et dérivera la dépouille enflammée d’un animal. Des chiens, qui font partie de la famille se baladent librement sur la scène. Le travail sur la lumière et l’obscurité renforce l’atmosphère inquiétante et dangereuse. De véritables tableaux apparaissent. Des images vibrantes et lumineuses, renforcées par la grâce des chants et le rythme de la musique en live.
L’usage de la caméra, ici opportun, permet de s’immiscer davantage dans cette réalité éloignée. Les projections extraient des portraits intimes des membres de la famille et renforce l’inquiétude sous-jacente. Des images nécessaires, pour laisser la trace d’un monde sans espoir de renouveau, des images pour raconter, pour témoigner de l’histoire de l’humanité.
Le réalisme troublant s’illustre jusque dans les personnages. Rien n’est laissé au hasard. Que ce soit les cheveux blonds et hirsutes des enfants un peu sauvages, les longues barbes des hommes, la peau grise de poussière et parsemée de rougeurs, les mains abîmées par la rudesse de l’extérieur, les vêtements typiques et dépareillés… Les comédiens adoptent une diction plus populaire. Ils sont tous engagés avec une ferveur incroyable. Cette histoire, cette fiction, cette famille, semble être là leur. Immersion complète ! La tension monte, les corps trépignent, les langues se délient… jusqu’au monologue final de Laurent Caron, comédien bouleversant, qui nous transperce le cœur.