C’est au Théâtre de la Tempête que Marie Mahé présente le premier spectacle qu’elle a monté en 2020 : ADN, de Dennis Kelly. Puissante pièce qui fait entendre la langue asphyxiante au réalisme immédiat de ce dramaturge fascinant. Une mise en scène sous tension avec des comédiens qui valsent avec la panique et la culpabilité.
ADN retrace l’histoire d’un groupe d’adolescents partis en forêt où ils torturent violemment un de leurs camarades et le laissent pour mort. Mais l’adolescent ressurgit comme une bête sauvage : il a survécu. Le groupe va alors devoir prendre une décision. Peut-on ôter une vie sans conséquence ? Une pièce d’une tension inouïe, sur la panique, la culpabilité et le non-retour. Un texte cathartique qui met en lumière une jeunesse ébranlée et sans limites.
À l’instar de la metteuse en scène, la mise en scène de Marie Mahé est dynamique, fraiche et percutante. Les sons rap, pop et électro en passant de Veneris à la chanteuse australienne Tones And I insufflent un vent de modernité et beaucoup de style.
Marie Mahé met parfaitement l’accent sur l’importance de l’effet de groupe. Les quatre jeunes sont vêtus de survêtements Adidas et portent des baskets. Ils sont semblables à des clones ; portrait réaliste d’une jeunesse en quête d’identité.
Un leader, ici Phil, le responsable, le référent suprême, essaye de conserver une bonne entente générale en faisant abstraction des conséquences extrêmes de sa violence. Une violence banalisée, dénuée de toute culpabilité. Faire partie du groupe c’est exister et décider du sort des marginaux, des futures victimes. Une autorité toute puissante illustrée à merveille à travers la scénographie et la toile peinte de l’artiste Yol, qui reprend la fameuse Création d’Adam, par Michel-Ange. Un beau parallèle avec le rôle de Phil : ce doigt de Dieu qui insuffle la vie et légitime alors son pouvoir sur l’autre.
« LEA. Parce qu’il est dingue ! On ne peut pas le laisser ici, enfin c’est pas, tu es sérieux ? Tu voudrais sérieusement- Oui d’accord on va avoir des… Mais- Phil, c’est cinglé. Je veux dire je n’ai jamais voulu, mais là, parce que bon, je m’en fous mais quand même c’est vraiment cinglé. On ne peut pas le laisser comme ça là-bas.
PHIL. C’est moi qui commande. Tout le monde est plus heureux comme ça. Qu’est-ce qui est le plus important ; une seule personne ou bien tout le monde ? » ADN, de Dennis Kelly- L’Arche
Dennis Kelly s’inscrit dans la lignée de Sarah Kane avec un théâtre « in yer face », qui provoque le malaise et l’inconfort. Un théâtre coup de poing, radical et intense qui n’est pas dénué de poésie et de questionnements. Dans ADN, l’auteur se penche sur une jeunesse perdue, en quête de réponses et éprise d’un besoin fou de reconnaissance.
« LEA. Tu crois que c’est possible de changer les choses ? Je sais, je sais, parce que cette fois…je sais pas, cette fois-ci…J’ai l’impression que c’est un moment important. Tu crois que tout le monde se dit toujours ça ? Tu crois qu’on est condamnés à se comporter comme les gens avant nous se sont comportés ? », ADN, de Dennis Kelly- L’Arche
Ce texte est porté par des comédiens investis et détonants. Notamment Maxime Boutéraon, qui interprète avec une corporalité sans égale et un sacré charisme, le rôle de Phil. Un personnage peu loquace dont les postures, le regard, la manière de mâcher ses chips en disent longs sur sa perversité.
Léa Luce Busato est la grande révélation de ce spectacle. Une comédienne singulière et atypique aux airs lunaires de Daphné Patakia. Toute en nuances, en pep’s et en sensibilité, elle sera celle qui osera s’opposer. Sa scène de danse, animale, presque épileptique, sur le morceau Dance Monkey, de Tones And I, évoque l’émancipation d’un pantin qui craque et tente enfin d’être elle-même. Un moment d’une beauté et d’une intensité folle.