Empreint d’un style à la Copi, le texte de Frédéric Pommier entremêle diverses atmosphères qui s’imprègnent d’un rire forcé pour aborder le pire. La force du Prix des boîtes repose sur l’admirable duo : Catherine Hiegel et Francine Bergé qui, toutes deux, dans un jeu différent, nous ébranlent et nous intriguent.
Deux sœurs qui s’aiment, se chamaillent et se pardonnent ; deux femmes qui ne possèdent rien, sauf leurs chats; deux pauvres vieilles qui n’ont rien construit et ne laisseront rien derrière elles. Il s’agit d’ombres invisibles, dans une société où trône l’indifférence, un monde régi par une administration et un corps médical qui ne songent qu’au profit. Ainsi, elles seront dépouillées de tout, même de leurs souvenirs ; les vérités seront dissimulées, les preuves cachées ; les malades enfermés et ignorés. Victimes de leur naïveté qui les transformera en pantins, elles accomplissent leur dernière traversée vers la boîte finale. Imprégnés de ce texte riche de sens, de ces mots qui dansent avec la langue française, les comédiens imposent un rythme dynamique et élancé.
C’est sur la scène du Théâtre de l’Athénée, au sein d’une somptueuse scénographie que les deux femmes ont construit leur cocon qui se verra détruit et violenté par les interférences du dehors. Intérieur crème capitonné, immense pièce délimitée en hauteur par des grillages, cet espace, mi-prison, mi-asile élégant, regorge de portes et de fenêtres qui laissent le champ libre à une mise en espace innovante et surprenante. De par le choix d’un lieu unique, exploité de manière ingénieuse, Jorge Lavelli a su créer une mise en scène variée et riche de sens. Avec peu d’éléments, mais caractéristiques de situations particulières, il parvient à explorer une inventive palette d’atmosphères et de sentiments. Partant d’un contraste entre l’univers reclus et intime des deux sœurs et celui d’une norme sociale, les frontières s’effacent subtilement, au fur et à mesure qu’on les dévore.
L’intérêt de ce texte, renforcé par la direction d’acteurs du metteur en scène, réside dans la manière d’aborder la maladie. Sujet sensible et touchant, le cas de l’Alzheimer laisse souvent place au chagrin et au pathos. Ici, nulle trace de larmes ou d’apitoiement ; on utilise le rire mêlé à une forme de culpabilité sous-jacente et de mutisme pour dissimuler toute notion de sensiblerie. Dans une solitude extrême, chacun semble tourné vers ses propres intérêts et lorsque la souffrance et la peur se font trop sentir, on les attache et les bâillonne, pour oublier et faire semblant de ne pas voir la réalité. Quant à ces représentants d’une société avide de pouvoir, leur présence introduit le chaos et la chute ultime de ces deux femmes inoffensives. Médecins, notaires, auxiliaires de vie et voisins s’allieront, pareils à une armée de vautours, tels des animaux en proie à l’appât du gain. Raoul Fernandez, Francis Leplay, Sophie Neveu et Liliane Rovère ont su faire de ces personnages des figures atypiques et fortes de nuances. Dans un jeu oscillant entre mouvements chorégraphiques et attitudes maniérées, ils introduisent le vice et l’indifférence en détruisant cette boîte monotone, mais attendrissante, dans laquelle le temps n’était plus que le seul ennemi de la Grande et de la Petite.
Théâtre de l’Athénée
Le Prix des boîtes, texte de Frédéric Pommier, mise en scène de Jorge Lavelli
Avec Catherine Hiegel, Francine Bergé, Raoul Fernandez, Francis Leplay, Sophie Neveu, Liliane Rovère
Du 21 mars au 13 avril 2013
Retrouvez ma critique sur l’Huffington Post