Solness le constructeur, d’Ibsen par Alain Françon

SOLNESSReflet de l’écrivain confronté à la perte de son pouvoir qui entraînerait sa chute artistique, ou simple création dramatique?
Dans Solness le constructeur, Ibsen nous confronte à un devoir et une obsession: la réalisation de soi-même, un accomplissement à travers sa vie et son art.
Fidèle à ces auteurs marqués par leur société, par ces drames sociaux et forts de sens, Alain Françon transforme la scène du Théâtre de la Colline en un espace oscillant entre la vie et la mort. Au cœur d’une scénographie familière, Solness tentera d’atteindre l’inatteignable. Semblable au décor d’Oncle Vania, aux Amandiers, ce dispositif, superposant plusieurs surfaces qui alternent entre intérieur et extérieur, crée une atmosphère particulière et poétique marquant le style d’Alain Françon. Ce territoire familier et réaliste, ces murs, imposent, cependant, ni carcan, ni enfermement. Au-delà de l’espace de la maison, les comédiens s’agitent et s’expriment en toute liberté, allant plus loin que le cadre apparent et illustratif de l’intimité. Couleurs claires et boisées, costumes travaillés et mobilier d’un certain goût, recréent, sans fioriture ou surcharge, une époque et une ambiance bien précises.
C’est au sein de cet espace-temps, presque figé, qu’Hilde apparaîtra comme l’espoir déclenchant la quête ultime de Solness. Symbolisant la vie et le renouveau, mais aussi, emplie de naïveté et de rêves enfantins, elle provoquera, chez l’homme, le désir de réaliser ses envies les plus insensées. Vaincre son vertige et son besoin de contrôle sur les autres, à travers l’élévation. Quitter le rang commun et prendre cette ultime hauteur qui représente la consécration tant désirée du Créateur. Femme-enfant, pleine d’admiration et de croyances passées envers ce constructeur de prodiges, elle le pousse à se surpasser afin de mieux atteindre son but. Poussé par un désir érotique, par cette attirance pour Hilde, Solness se trompe de motivation et échoue dans sa mission. Trop influencé par cette jeunesse avide de réalisation, par cette énergie envoûtante qui ne s’anime et ne vit qu’à travers ce triomphe attendu, le constructeur retrouvera celle dont il tentait pourtant de s’éloigner.

Comme à son habitude, déjà brillante dans La Trilogie de la Villégiature, de Goldoni, à la Comédie-Française, Adeline D’Hermy illumine et anime, comme jamais, ce présent suspendu. Alliant à merveille la part de la femme à celle de l’enfant, elle offre à Hilde un caractère fougueux et une parole passionnée, presque militante. Personnage énigmatique qui représente le passé mais qui en est dépourvu, elle provoque le trouble et instaure l’ascension vers cet échec si cher à Ibsen. Quant à Vladimir Yordanoff, face à tant de passion et de croyance, il semble quelque peu éteint, marquant faiblement l’évolution de ses ambitions. Reste à saluer Dominique Valadié qui incarne à merveille, de manière presque mécanique, cette femme brisée, cette morte qui tente d’attirer la seule chose qui lui reste dans son abîme. Malgré la menace imminente d’une mort certaine, la vie perdure mais s’imprègne malgré tout de la saveur amère de la défaite humaine.

Théâtre de la Colline

Solness le constructeur, écrit par Henrik Ibsen, mise en scène par Alain Françon

Avec Gérard Chaillou, Adrien Gamba-Gontard, Adeline D’Hermy de la Comédie-Française, Agathe L’Huillier, Michel Robin, Dominique Valadié, Wladimir Yordanoff

Du 23 mars au 25 avril 2013

Retrouvez ma critique sur l’Huffington Post

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