Les Trois soeurs, de Tchekhov par Françon

LES TROIS SOEURSChaque metteur en scène est marqué par un style qui lui est propre, un univers personnel, immédiatement identifiable par ceux qui apprécient ses créations et sont habitués à suivre son travail. Mais, quelque fois, malheureusement, il peut acquérir une renommée qui prend le pas sur son contenu artistique. Etre fidèle à l’évolution d’un artiste offre un aspect rassurant, qui nous plonge dans la découverte de chaque nouvelle oeuvre, dans une bulle familière et existante. Néanmoins, même si plus forts d’empreinte sont les metteurs en scènes qui parviennent à acquérir une identité propre, ils doivent veiller à toujours se diversifier afin de ne pas tomber dans le piège d’une vieille rengaine qui devient très vite lassante.

C’est justement un sentiment de monotonie qui s’empare de nous à la découverte de la scène de la Comédie Française. Reprise, car créée en 2010 par Alain Françon dans le même Théâtre, la pièce des Trois Sœurs, de Tchekhov, fait évoluer les acteurs dans le même dispositif scénique, à quelques détails près, que ceux mis en scène dans Oncle Vania, La Trilogie de la Villégiature ou encore Solness Le Constructeur. La démarche dramatique d’Alain Françon est, en effet, marquée par une scénographie classique mais épurée, un soupçon de charme champêtre, usant toujours d’un même dispositif : des surfaces inscrites dans une boîte ou occupant tout l’espace du plateau ; des intérieurs bourgeois et réalistes, systématiquement ouverts sur un extérieur naturel. Le metteur en scène cultive son goût pour les matières boisées qui, associées à des costumes d’époque et à une poésie environnante, recréent une société et un univers indépendants. Les intentions sont justes et reflètent une atmosphère pesante mais pleine d’espoir et d’optimisme. Néanmoins, nous aurions souhaité être davantage surpris, sortir de ses codes habituels qui semblent, finalement, inscrire tous ses personnages au sein d’un espace similaire et dénué d’évolution. Malgré tout, il n’y a aucune fausse note ; la nostalgie et la fatalité, propres à l’œuvre de Tchekhov, émanent sans cesse de la maison des trois sœurs. Heureuses et impatientes, face à l’avenir radieux qui les attend, elles tentent d’oublier le poids de leur quotidien en se rattachant au futur, plein d’espoir, que représente leur départ pour Moscou. Leur rêve se verra pourtant anéanti, ne demeurant plus qu’un souvenir lointain qui les confrontera davantage à leurs réalités enfouies. Les personnages restent, cependant, des êtres en surface qui semblent difficiles à déchiffrer en profondeur tant un sentiment de détachement les entoure et les éloigne de toute dimension psychologique. Ils n’en deviennent pas moins des êtres résignés, trois sœurs confrontées à l’attente d’un avenir déjà éteint, trois symboles d’une vie passée, restes d’une illusion qui s’est transformée en nécessité de continuer à vivre, malgré tout. Leur pire ennemi devient, alors, un présent sans saveur qui tend, sous le poids de la solitude éternelle, vers l’aube d’une vie nouvelle où la conscience du temps devient inexistante et indifférente. Florence Viala, Elsa Lepoivre et Georgia Scalliet excellent dans les rôles de ces trois femmes oscillant entre souvenirs enivrants et résignation. Chacune est dotée d’une personnalité différente et marquée. Entourées des autres brillants comédiens de la Comédie Française, elles créent une dynamique d’ensemble qui contribue à la création d’un monde isolé mais très actif.

La mise en scène est énergique, mêlant à la fois des scènes chorales et des instants plus intimes. La vivacité des comédiens et le dédoublement d’intrigues, ajoutés aux différentes ambiances introduites par les jeux de lumière, nous placent en position d’observateurs d’un intérieur riche et intriguant, présageant de nombreuses surprises. Malgré une récurrence de style qui nous contrarie quelque peu, mais qui, pourtant, sublime le texte, de par sa direction d’acteurs, Alain Françon triomphe dans cette difficulté d’aborder une horreur sous-jacente sur un fond de légèreté tendant parfois vers l’oisiveté et les rapports superficiels.

La Comédie-Française

Les Trois soeurs, écrit par Anton Tchekhov, mise en scène d’Alain Françon

Avec Michel Favory, Éric Ruf, Éric Génovèse, Bruno Raffaelli, Florence Viala, Coraly Zahonero, Michel Vuillermoz; Elsa Lepoivre, Stéphane Varupenne, Gilles David, Georgia Scalliet, Jérémy Lopez, Danièle Lebrun, Benjamin Lavernhe.

Du 18 avril au 20 mai 2013

Retrouvez ma critique sur le site de l’Huffington Post

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