Il ne fallait pas manquer d’audace pour oser s’attaquer au héros shakespearien. De l’audace, Philippe Ulysse semble en avoir puisqu’il donne à ce tragique Macbeth une bonne leçon de morale. Malheureusement, trop dans une idée de compte-rendu historique, il passe à côté d’une parole politique pourtant sous-jacente, mais écrasée sous le poids de la représentation. L’odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux, c’est une volonté d’interroger le pouvoir en mettant en parallèle deux époques : celle de Macbeth, futur roi d’Ecosse, en l’an 1000 et le 20e siècle des guerres d’Algérie et de Tchétchénie. Le meurtre d’un seul homme peut-il avoir une influence sur la future violence des hommes ? Quelle tournure cette violence prend-elle au fil du temps ? Qui la dirige et la contrôle ? Car il s’agit bien d’une volonté de comparer l’acte meurtrier d’un homme de ce temps, qui agit en pleine conscience, délibérément, à une ère moderne où les hommes sont désignés et envoyés pour faire la guerre. L’avidité personnelle se transforme dans le futur en une cause collective qui préserve des batailles sanglantes les vraies figures d’autorités décisionnaires concernées. D’un être libre et maître de ses fatales décisions, l’homme se transforme en un pantin manipulé et formaté pour tuer.
Dans sa mise en scène, et grâce à la brillante interprétation de Macbeth, par Anthony Paliotti, ainsi que des autres comédiens, la volonté de faire culpabiliser le héros tragique se dessine et nous interpelle. Assailli de témoignages personnels de la bouche de soldats et de familles qui nous dépeignent l’horreur de ces guerres, incapable d’empêcher celle qu’il aime de commettre l’irréparable, la perte l’entoure et l’agresse perpétuellement. Sans cesse confronté à l’horreur humaine qui le désigne responsable comme le Dieu Créateur à l’Origine, la culpabilité et le remord le pourchassent jusqu’au cauchemar.
Philippe Ulysse insiste sur cette notion de conséquence de nos actes, sur l’importance de mesurer l’ampleur d’un geste. A force d’obsessions et de rêves de grandeur dépourvus de limites, la punition qui s’impose reste le jugement et l’exclusion. A travers un dispositif bi-frontal, le metteur en scène nous place comme jurés et témoins du procès de cet homme qui représente, à lui seul, les tyrans assassins de toute une humanité. Désirant s’ancrer dans un univers proche de l’onirisme, avec une dimension anecdotique, la réalité du propos perd de sa force. Philippe Ulysse ne s’attaque pas directement à ceux qui pourraient, aujourd’hui, incarner les descendants politiques et criminels d’un Macbeth.
Alors, de l’audace ? certes ; du courage ? peut-être pas. A cela, s’ajoutent certains éléments, surtout scénographiques, qui ne sont que fioritures inutiles et dénuées de sens. L’idée d’un chemin de terre semblable à un no man’s land illustre parfaitement l’intemporalité d’un lieu où les âmes se rencontrent. Néanmoins, la sur-représentation à travers l’usage de cette maison, d’une scène et surtout de la vidéo et du son strident dénaturent l’essence du propos et le réduisent à un « trop plein » de contemporain. En outre, cette atmosphère, empreinte d’airs qui nous rappellent Joël Pommerat, parvient à nous toucher et, surtout, nous invite à réfléchir, même si le discours reste très littéraire. Grâce à leur astucieux parallèle, Philippe Ulysse et ses comédiens nous prouvent, une fois de plus, l’intemporalité de Shakespeare et, par malheur, celle de la violence de l’homme qui, malgré l’évolution, est prêt à tout pour obtenir la domination. Seul le sang versé change de mains et laisse à Lady Macbeth le soin de garder cette croix.
Théâtre de l’Avant Seine
L’odeur du sang humain ne me quitte pas des yeux, inspiré de Macbeth, mise en scène et conception de Philippe Ulysse
Du 29 Janvier au 16 Février au Théâtre Monfort
Avec Dalila Khatir, Anthony Paliotti, Fred Ulysse, Nicolas Avinée, Victoire Dubois, Laurence Mayor