Les spectateurs suédois, furent nombreux à suivre les épisodes de Scènes de la vie conjugale, d’Ingmar Bergman, en 1973, à la Télévision. Aujourd’hui c’est un réalisateur, Safy Nebbou, qui prend le relais et adapte cette merveille analytique, sur les planches, au Théâtre de L’Œuvre.
Ce texte se présente sous forme de chroniques, qui révèlent plusieurs années de vie commune entre Johan et Marianne. Ils forment un jeune couple, qui ne parvient jamais pas à s’aimer de la bonne manière et qui n’arrive pas à se quitter. Un duo, qui, sur le papier, à tout pour être heureux. Une entité, un « nous », qui créait une façade rassurante. Ils ne réussissent pas à s’accorder aux mêmes moments. « Suis moi je te fuis ». Quand l’un part, celui qui se retrouve en position de laisser pour compte, acquiert une indépendance et une liberté, juste au moment où le premier décide de revenir. Ils ne s’atteignent pas en même temps.
Marianne est douce, docile, patiente mais froide et conditionnée. Ce qui peut passer pour de la faiblesse de sa part, n’est autre qu’une incapacité à aimer et à ressentir sincèrement, pour les bonnes raisons. « L’amour personne ne m’a dit ce que c’est. Et je ne suis pas sûre qu’il faille le savoir ». Elle est hermétique aux désirs de son mari, car elle ne cerne pas ses propres envies. Prête à accepter l’adultère, pour leur laisser une chance de réparer, elle teste ses limites et explore. Accepter, pour s’offrir la possibilité de se trouver et de se connaître, indépendamment de l’autre. Johan est plus décousu et impulsif. Il a besoin de nouveauté et de renouvellement. De s’éloigner de la perfection étriquée de son quotidien familial. C’est un être indécis. Un enfant qui se lasse de tout et désir ce qu’il pouvait avoir, lorsqu’il est plus difficile de l’obtenir.
Le couple se sépare pour vivre d’autres aventures et continue de se voir. Ils se voient pour tenter de définir les choses, pour s’appréhender dans ces nouveaux rôles, parfois pensants en finir définitivement. Ils se testent et se défient. S’émancipent et prennent de la liberté. Malgré les horreurs qu’ils s’infligent, ils semblent voués à être ensemble. Ils ne trouvent de véritable raison d’aimer qu’en étant avec l’autre.
Amour ou dépendance malsaine ? Il y a entre eux un attachement et une tendresse sincères. Même s’ils prennent des décisions fermes, mais appliquent le contraire, il ne s’agit pas que de pulsions et de tentation. Ils ne fuient pas la solitude en se raccrochant à l’autre. Il fallait que Johan affronte la perte et Marianne la rupture. La distance, en tant qu’existences séparées, leur a permis d’atteindre un amour pur.
Le metteur en scène Safy Nebbou, explore cette question des masques et de la prétention avec une captation filmée, par laquelle débute la pièce, mais aussi le film de Bergman. Il s’agit d’une interview du couple, qui s’exprime sur le bonheur d’une vie bien rangée et épanouissante. Conserver ce passage, renforce la notion d’image et d’apparence trompeuse. Cela amplifie le chaos et le paradoxe avec la réalité de leur intimité.
La scénographie, simple et modulable, laisse place à l’affrontement et à la liberté salvatrice de la parole. Tout est poussé, au fur et à mesure, au dénuement pour atteindre la sincérité et la vérité la plus totale. Ils parviendront alors à sortir de leur foyer, de leurs habitudes, de leurs illusions et de leur passé, pour être, ce qu’il reste.
Laetitia Casta et Raphaël Personnaz, davantage célèbres derrière la caméra que sur un plateau de théâtre, apprennent à s’aimer avec délicatesse et foudroiement. Laetitia Casta, sublime et naturelle est d’une douceur tranquille qui cache un étonnant volcan prêt à jaillir lorsqu’il s’agit d’assumer qui elle est vraiment. Raphaël Personnaz, fait preuve de plus de fougue et de turbulence. C’est un être passionné qui lâche prise.