Éloquence à l’assemblée, de Pierre Grillet et Jérémie Lippmann au Théâtre de L’Atelier

joeystarr
@Sidney Carron

« Combattant de l’ennui. Spectateur du néant, j’ai l’appétit d’un géant »

Nous nous sommes tant de fois déhanchés au rythme de son rap des banlieues, parfois effronté mais engagé. Aujourd’hui, assis au Théâtre de L’Atelier, nous continuons à écouter ses paroles. Joeystarr quitte son micro et la caméra pour conquérir une nouvelle scène et un nouveau public, qui s’annonce averti, cérébral et intransigeant avec ceux qui viennent d’une autre sphère.

Pour son baptême de Molière, il s’empare, sous la direction de Jérémie Lippmann et Pierre Grillet, de grands discours du 19e et du 20e siècle. Il donne voix à des figures militantes qui marquèrent leurs époques et dont les propos, percutants, résonnent d’actualité.

L’Abbé Grégoire, Jaurès, Robespierre, Hugo, Lamartine, Césaire, Veil, De Gouges… Un panel de personnalités affirmées, qui tentèrent, par le biais du langage, de changer leurs époques en dénonçant les méfaits du système et les travers de l’homme. Manier la langue française et frapper du poing pour réveiller les consciences. Nous constatons avec effroi que les dérives et les indignations d’antan sont toujours les mêmes. Lorsqu’Alexis de Tocqueville critique la société pourrie et corrompue. Que Lamartine accuse aussi le système et Victor Hugo les déviations de la religion ; le combat est aujourd’hui inchangé. Précurseurs et lucides sur les catastrophes politiques et les maux sociaux : en 1950, Aimé Césaire aborde la colonisation comme un phénomène ne visant pas à l’égalité mais à la domination. Dans son célèbre et courageux discours sur la dépénalisation du recours à l’avortement, Simone Veil encourage à faire revivre une morale de civisme et de rigueur, au lieu de favoriser les égoïsmes individuels. Victor Hugo « Je ne suis pas messieurs de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère ». Olympe de Gouges quant à elle, s’indigne contre la place de la femme, qui n’évolue pas et ce même après la Révolution.

Des constats intemporels, des paroles glaçantes et percutantes, qui trouvent corps et sens en la personne de Joeystarr, surprenant et touchant. Oublier la star et découvrir que cet homme incarne la force et l’engagement nécessaires à la prononciation de ces magnifiques discours. Imposant, intimidant et charismatique, il croit en les idées qu’il défend. Même s’il s’agit d’une lecture, ponctuée de notes d’humour plaisantes, d’hésitations et d’interruptions, l’ensemble fonctionne et les mots nous heurtent. Personnage public, à la réputation de bad boy, connu pour ses déboires, il revêt ici une apparence sensible, pudique et déterminée.

joeystarr
@Sidney Carron

La mise en scène de Jérémie Lippmann, alliée à la scénographie du talentueux Jacques Gabel, est au service de l’image. Qu’elle soit celles reliées aux discours mis en page et projetés, que du visage du comédien, filmé dans des nuances de couleurs qui nous rappellent l’album « Suprême NTM ». Autant exploiter qui il est jusqu’au bout. Le mélange entre tous ces langages, créait une atmosphère tantôt intimiste qui prend soudain des allures de show. N’oublions pas le magnifique clin d’œil final à la bête de scène du rap français qu’est Joyestarr. Il quitte le modeste plateau du Théâtre de L’Atelier, capuche sur la tête, par le mur du fond qui coulisse en deux portes, lumière blanche à fond. Comme pour nous ramener, à la dernière minute à la réalité en nous rappelant à qui nous avons eu à faire : Je préfère m’approcher de la vérité sans tricher.
Sans jamais changer mon fusil d’épaule, et puis garder mon rôle, tenir la taule. Rester en pôle position, peu confortable, mais c’est pas grave !
J’aime le challenge, porter le maillot frappé du sceau de ceux qui dérangent est
Un honneur pour moi, Comme pour tous mes complices, mes compères, mes comparses,
Fatigués de cette farce.
On ne veut plus subir et continuer à jouer les sbires.
Sache que ce à quoi j’aspire, c’est ce que les miens respirent.

Retrouvez cet article sur L’Huffington Post

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