Platonov, d’Anton Tchekhov par le Collectif Les Possédés

platonovLe Collectif Les Possédés qui monte ce « Platonov » de Tchekhov marque le début d’une aventure humaine de 3h30, un moment intense de théâtre, pendant lequel cette grande troupe envahit la scène semblable à un champ de bataille. Tromperies, hymne à l’ordinaire et interrogation sur le sens de la vie s’entremêlent au sein de ce lieu de villégiature, rassemblement de toutes les convoitises.

Familiers de l’univers du génie russe, une fois de plus, cette pièce questionne l’existence à travers le vide d’une société en chute et plongée dans la désespérance. Treize parcours de vie défileront sous nos yeux, treize personnages, englués dans la monotonie ennuyeuse d’un quotidien qui les dévore. Hantés par le drame de la solitude éternelle, ils tenteront tous de lutter pour aspirer au changement. La seule solution pour faire défiler le temps et libérer leurs corps de cette emprise, sera alors de se laisser aller dans les entrailles de leurs désirs. Chacun voit en l’autre, jamais libre, un objet de désir et de divertissement. Chacun aime celui ou celle qui ne lui rendra jamais sincèrement son amour. Face au refus et au danger, le désir continuera alors de s’accroître, le défi devenant de plus en plus excitant mais les dégâts innombrables et désastreux. S’accomplir, se réaliser au détriment des autres, conduira Platonov, celui qui aura le plus osé, l’homme désireux de s’émanciper de ses chaines, happé par un besoin de vie et de découverte, à un tumulte incertain et tragique. L’attirance et la tentation prendront le pas sur la réflexion et la considération de l’autre.

Cette grande famille, enfermée dans un domaine en perdition, tentera malgré toute l’incertitude qui rôde, de survivre. Ils essaieront, en vain, de trouver leur chemin de liberté en usant de la transgression, de l’apitoiement, du complot, de l’acharnement ou encore de la provocation afin de rester mobilisés dans ce monde dénué d’espérance et aux racines ancrées et trop anciennes.

Malgré cette sensation de fatalité ultime qui règne dans l’atmosphère, cela n’en reste pas moins une tragi-comédie. La légèreté qui voile l’horreur du vide et de la stagnation, reste en première ligne, de manière à passer du rire aux larmes amères. L’absurdité et le second degré rayonnent sur scène avec goût et demi-mesure, ce qui dédramatise la situation. Situations que les comédiens occupent avec talents et personnalités. Chacun possède son individualité atypique, ses vices et ses manies. Le Collectif est brillant de caractères, reflétant un parfait arc en ciel, regorgeant de tonalités bien distinctes. Quant à la mise en scène parfaitement limpide et cadencée, elle permet, de par l’enchainement des nombreuses scènes et la force des multiples interprétations, à faire pénétrer le spectateur, naturellement et avec aisance, dans ce portrait d’une Russie ébranlée. Rodolphe Dana, beau et impassible, dirige alors cette création avec rythme et profondeur, se fondant avec charisme et cruauté dans la peau de ce Platonov, figure acerbe, passant de l’ombre aux ténèbres.

 

Théâtre de la Colline

Platonov » d’Anton Tchekhov par le Collectif Les Possédés, création collective dirigée par Rodolphe Dana.

Avec Yves Arnault, Julien Chavrial, David Clavel, Rodolphe Dana, Emmanuelle Devos, Françoise Gazio, Katja Hunsinger, Antoine Kahan, Émilie Lafarge, Nadir Legrand, Christophe Paou, Marie-Hélène Roig

Paris  jusqu’au 11 février 2015

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