Und, d’Howard Barker par Jacques Vincey au Théâtre de la Ville

Le plateau du Théâtre des Abbesses s’éclaire et Nathalie Dessay apparaît, semblable à la Winnie de Beckett, coincée sur une plateforme, au milieu du rien. Un carré blanc et mat, dont elle ne sortira qu’à la fin, un espace dont elle est prisonnière, juchée sur un tabouret recouvert par sa longue robe rouge flamboyante. Dans « Und » d’Howard Barker, elle ressemble à une déesse à une divinité déjantée et excentrique qui nous prédit le pire. Elle aussi s’adonne à des rituels quotidiens.

Comme Winnie, elle trompe le temps et attend la mort. L’homme qu’elle entend chaque jour sera encore en retard, puis il sonnera comme à son habitude. Elle boira son thé habituel, criera après ses gens, retirera sa robe, sa perruque…

Cette femme énigmatique est seule, dans un no man’s land occupé par des signaux extérieurs qui font exister l’autre malgré tout. L’homme énigmatique est représenté par cette fameuse sonnerie de porte. Qui est-il? Le connaît-elle vraiment? Existe-t-il ou l’a-t-elle inventé? Face à la solitude elle instaure la notion d’autrui par ses mots, par ses adresses à lui, à elle-même et à ses domestiques. Elle agrandit l’espace et suscite notre impatience et notre imagination. Seule, elle ne le sera jamais. Elle est entourée de pavés de glaces suspendus en hauteur tout autour d’elle, en cercle. Amis? Ennemis? Sujets de son royaume de verre?

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Avide de retrouver l’homme, l’inconnu qui n’entre toujours pas, ses nerfs sont mis à rude épreuve. Il instaure un jeu entre le visible et l’invisible en marquant sa présence avec un retentissement qui créait une pression et un enjeu mystérieux. Quels rapports entretient-elle réellement avec lui? De l’hôte hâtive, pressée de le retrouver, elle se transformera en victime terrifiée. Le chaos s’installe et son trône s’effondre. Les éléments se déchainent, elle glisse vers le dénuement, tombe les masques et se perd dans ses névroses. De l’aristocrate, de la juive à l’allure prestigieuse et élégante, elle se transforme en la comédienne sans apparats, victime de cet oppression, de cette attente infinie et à distance. A trop attendre que le couperet tombe, elle craque et aspire au dépouillement tout autour d’elle. De quoi a-t-elle aussi peur?

Elle reste malgré tout aussi indéfinissable que l’homme. La parole ne fait pas tout car les mots restent une arme que l’on manie à loisir. Nous ne connaissons rien d’elle, aucune certitude, aucune vérité n’est roc. Elle pourrait nous mentir, usurper son identité ou même être prise de folie face à son sort ultime qui approche. Les mots sont pourtant sa seule bouée, ils lui permettent de lutter contre le silence de l’absence et contre cette mort qu’elle affronte immobile, de glace. Comme une héroïne tragique elle lutte contre l’anéantissement.

Une chute illustrée de manière grandiose dans la scénographie. Jacques Vincey regorge toujours d’idées nouvelles et transforme le plateau du Théâtre en un palais gelé. Comme pour « Les Bonnes » de Genet et « La Vie est un songe » de Calderòn, il se situe dans une esthétique élégante et un style délicat et raffiné. Le fond et la forme sont sur un même pied d’égalité et se soutiennent. Les blocs de glace qui entoure Nathalie Dessay, semblables à des lames de rasoir, s’écroulent au fur et à mesure de sa déchéance. La glace se brise et tombe au sol dans un fracas spectaculaire. Cet orgue musical, accompagné par les rythmes du musicien Alexandre Meyer, amplifie le pouvoir du son et des mots. Sablier incontrôlable, ce dispositif est le roi du temps qui marquera la fin de ce qu’elle aurait pu vivre. L’espace est hostile et dangereux mais inspire une forme de pureté de par la transparence de ces rectangles. Quelques objets descendent des cintres sur des plateaux, renforçant l’atypisme de ce décor extraordinaire.

Quoi de plus censé que de choisir Nathalie Dessay, cette grande cantatrice soprano léger colorature pour ce voyage avec les mots. Pimpante, loufoque, intrigante et d’une présence de feu elle interroge sur le sens de l’existence. Imprévisible, elle nous touche et nous transporte au cœur du langage.

 

Retrouvez cet article sur l’Huffington Post

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