« On est ici, on est ensemble, on passe du temps ensemble ça là, tout ça, ce sont des moments, de brefs évènements, de brefs moments, que nous vivons ici, tous ensemble, oui, ensemble, en collectif »
En 1977, des actes terroristes bouleversent l’Allemagne. Le réalisateur Rainer Werner Fassbinder, figure de la transgression et de la radicalité réagit à cet état d’urgence. Connu pour convoquer les figures atypiques d’une société confuse, il met en lumière le rapport de force entre les être. Une source d’inspiration pour l’écrivain Falk Richter, adepte de l’auto fiction, et pour le metteur en scène et comédien Stanislas Nordey, qui face aux évènements de 2015 et 2016 cosignent cette création « Je suis Fassbinder », présentée au Théâtre de la Colline.
A l’heure où Raymond Depardon sillonne la France avec son film « Les Habitants », pour donner la parole aux anonymes. Pendant que « Angleterre, Angleterre » d’Aiat Fayez, un texte sur la jungle de Calais, est lu à Théâtre Ouvert, Nordey et sa bande tentent de s’inscrire dans notre réalité.
Un petit groupe de 5 comédiens partent de l’œuvre du cinéaste Fassbinder, de sa crainte de notre société et son évolution, pour dresser un bilan de notre situation, quarante-cinq ans plus tard. Des attentats ont touchés notre pays et notre entourage, changeant à tout jamais notre vision du monde, nos croyances et notre perception de l’être humain. Qui sommes-nous ? De quoi avons-nous peur ? Peut-on changer le cours des choses ? Comment faire ? IL faudrait s’ouvrir à une échelle mondiale, voir au-delà de nous, de notre pays, de l’Europe. Une Europe et des valeurs démocrates et humanistes qui ne veulent plus rien dire. Nos utopies tombent en cendre.
Stanislas Nordey, Judith Henry, Laurent Sauvage, Thomas Gonzalez et Eloïse Mignon travaillent sur des scènes d’improvisations dans lesquelles ils rejouent l’œuvre de Fassbinder et évoquent ses opinions passées dans ce rapport à l’autre et à la violence. A cela s’ajoute des rapprochements avec notre histoire actuelle. Ils créent des mises en abîmes, renforcées par la scénographie composée de plusieurs niveaux de plateaux, recouverts de la même moquette que celle dans « Les larmes amères de Petra Von Kant ». Au-dessus de ce dispositif, trois écrans qui diffusent en boucle des extraits de films de Fassbinder. Des bribes de cinéma qui tournent autour de l’autorité de l’homme sur la femme, désespérée. De par ce parallèle, les comédiens tentent de mobiliser le spectateur et de provoquer des réactions sur la réalité qui nous entoure.
Malheureusement, ils se servent du théâtre pour faire naitre une prise de parole très personnelle, anecdotique et finalement inutile. Chacun dévoile sa pensée à travers des arguments clichés et un texte parfois faible car déjà connu de tous. Ils désirent éveiller nos consciences, déjà en alerte depuis Charlie Hebdo et éveillées davantage encore après les atrocités du 13 novembre. Le spectateur semble assister à une conférence, un cours de moralité sur des faits connus et analysés depuis longtemps, par tous.
Les personnages, propres au Théâtre, n’existent presque pas, les comédiens prennent toute la place et dénoncent en écoutant leurs opinions respectives et en prenant l’œuvre de Fassbinder comme prétexte. Sensation désagréable d’être pris en otage, de manière inconstructive, avec l’envie si c’est un débat d’y participer. Car le théâtre est quasi inexistant et habillé grâce à Thomas Gonzalez de gratuité et d’hystérie décorative. Qu’est-ce que signifie aujourd’hui de faire du théâtre ? Que peut-on encore dire sur un plateau de théâtre ? Le courage ne fait pas tout, il faut qu’il y ait du sens mais surtout de la découverte.
Un sens que nous trouvons dans leur questionnement sur le rapport à l’autre. L’autre, l’enfer, notre enfer. Nous sommes incapables d’accepter l’autre, de le tolérer et de l’aimer pour ce qu’il est vraiment et pas pour ce qu’il représente. Nous avons peur de l’autre, peur de la dépendance, peur de la solitude. Nous avons peur de nous, nous avons peur de tout. La Culture, l’Art, le Théâtre, sont des outils d’ouverture à l’inconnu. Ici il sert, à travers cette expérimentation, auto centrée, à tout de même rappeler l’essentiel : créer du partage et de la relation, du lien, pour être ensemble.
Je suis Fassbinder, mis en scène par Stanislas Nordey et Falk Richter
Paris – Théâtre de la Colline – Jusqu’au 4 juin 2016
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