Les Insoumises, un projet en trois temps que nous présente l’intrigante Isabelle Lafon au Théâtre de la Colline. Un hymne à la langue, celle qui ébranle, traverse et percute en plein cœur. Cette trilogie est une ode aux femmes et à la Littérature dans ce qu’elle a de plus poétique. Nous découvrons des textes et des courants de pensées, dans une mise en espace sobre, presque sans décor. Le minimum de matériel et juste ce qui est nécessaire en éclairage, allant même jusqu’à faire participer le public, muni de lampes de poches. La prise de parole avant tout, du théâtre brut, à l’état pur.
Il s’agit de trois volets distincts où des comédiennes, Johanna Korthals Altes, Isabelle Lafon et Marie Piemontese, donnent voix à Lydia Tchoukovskaïa, Anna Akhmatova , Virginia Woolf et Monique Wittig. Tantôt incarnations, tantôt passeuses, parfois personnages. Elles s’inscrivent dans trois univers différents, qui ont en commun la beauté de la langue, la curiosité et l’émotion. « On écrit avec ses émotions les plus profondes », Virginia Woolf.
La première pièce Deux ampoules sur cinq, réunit Lydia Tchoukovskaïa et Anna Akhmatova, deux écrivaines complices et solidaires face à l’horreur de la guerre et leur éviction du cercle littéraire des auteurs de l’époque. Pendant des années Lydia Tchoukovskaïa raconte quotidiennement ses rencontres avec Anna, une femme qu’elle admirait et dont elle fut plus qu’une épaule, une mémoire. Une forte complicité se noue entre ces deux femmes. Une amitié palpable qui laisse place au respect du talent de chacune. Le but est de survivre et de laisser des traces de ce qui a existé et de cette difficulté à continuer d’écrire dans les antres du stalinisme.
Dans Let me try, la lumière est sur la mystérieuse Virginia Woolf. Les trois comédiennes s’emparent de son journal intime pour en lire des extraits. Evènements anodins, pensées profondes ou interrogations existentielles, la figure de l’auteure se dévoile. Tour à tour, elles incarnent Virginia Woolf avec une sensibilité singulière. Johana Korthals Altes est la plus marquante. Elle représente l’image que l’on pourrait se faire de l’écrivaine. Une femme éparpillée mais déterminée. Un être insaisissable, curieux et atypique. Une artiste brillante et poétique avec une marginalité et un grain de folie qui la rendent charmante. La comédienne transmet son chant.
Le triptyque s’achève sur L’Opoponax de Monique Wittig, dans laquelle Isabelle Lafon narre l’histoire de Catherine Legrand, une enfant, nouvelle élève chez des religieuses à la campagne. Après la mise en valeur des auteures, la metteuse en scène et comédienne, plonge au cœur du récit. Plaisirs malicieux et humour indéniable et contagieux émanent d’Isabelle Lafon et des aventures de tous les camarades de Catherine Legrand, qui prennent vie le temps du théâtre. Un micro et une batterie suffisent à donner le rythme et à créer les péripéties et le tumulte. Déjà éloquente et habitée dans les deux précédentes pièces, Isabelle Lafon se révèle davantage et nous époustoufle sur toute la ligne.