Pour tous ceux qui, croulant sous les spectacles du Festival OFF d’Avignon, l’avait manqué, Ich Bin Charlotte, de Doug Wright mis en scène par Steve Suissa, est au programme de la rentrée du Théâtre de Poche-Montparnasse.
Sous la traduction de Marianne Groves, nous découvrons la véritable histoire de Charlotte von Mahlsdorf née Lothar Berfelde, une collectionneuse d’art transgenre. Passionnée par les objets, elle tint un musée à Berlin, qui, du nazisme au communisme, résista aux changements. Véritable héroïne, vainqueur du temps qui passe, elle est considérée comme une figure emblématique de la communauté LGBT. Un personnage authentique à une époque où le transgenre n’est ni affirmé et encore moins assumé. Durant toute la pièce, nous suivons avec curiosité et attachement l’enquête de deux amis américains obsédés par le mystère qui entoure ce personnage énigmatique et captivant.
Un envoutement diffusé à merveille par le comédien Thierry Lopez qui endosse le rôle de Charlotte avec ambivalence et singularité. Il ne figure pas entièrement le travestissement et se passe de maquillage et d’une perruque. En robe et en talons, il conserve sa barbe et ses cheveux courts pour jongler aisément et conserver cette ambiguïté entre masculin et féminin. Ce style renforce la dualité intérieure de cet être. Toutes les frontières sexuelles tombent. Charlotte est à la fois deux corps et une seule âme. Elle dit fièrement qu’elle est sa propre épouse. Cette seule décision suffirait à combler la solitude de tout individu qui pourrait soudainement trouver en lui-même réconfort et amour.
Seul sur scène, Thierry Lopez interprète avec brio, une vingtaine de personnages, tous distincts par leurs accents, leurs postures et leurs attitudes. Il parvient avec habileté et souplesse à passer de l’un à l’autre. La métamorphose est subtile et rapide, faisant apparaître tout un monde peuplé de rencontres de toutes sortes.
Le metteur en scène Steve Suissa sait imposer un rythme qui démarre paisiblement jusqu’à devenir endiablé. La mise en scène est ponctuée par des chorégraphies cadencées proches du voguing, sur une musique entrainante qui nous aspire dans l’atmosphère nocturne berlinoise très stylisée. Maintes fois, le spectateur quitte le musée silencieux de Charlotte pour des lieux sous le feu des projecteurs. Les lumières de Jacques Rouveyrollis et de Jessica Duclos suivent et imposent la mesure et les ambiances tout en contribuant à l’abondance des espaces. Une prison, un café ou encore un plateau télé disparaissent au profit de la Grüderzeit Museum, un sanctuaire sacré, représenté sur scène avec inventivité et élégance. Le plateau est recouvert de gramophones, au centre siège une grande armoire qui lorsqu’elle s’ouvre, à l’instar d’une maison de poupées, découvre tous ses trésors…