Nous l’avions découvert et quitté, chamboulé, en 2017 sur la scène du Théâtre de L’Odéon avec les paroles de Puck qui résumait parfaitement la pensée de Guillaume Vincent « Ici vous n’avez fait que sommeiller. Lorsque ces visions vous apparaissaient. Et ce thème faible et vain. Qui ne crée guère qu’un rêve. Gentils spectateurs, ne le blâmez pas. Pardon, nous ferons mieux la prochaine fois. »
Pour nos retrouvailles le brillant enchanteur qu’est Guillaume Vincent pose ses valises au Théâtre des Bouffes du Nord et nous présente deux spectacles : Love me tender et Callisto et Arcas. Dans Love me tender, il s’inspire des textes de Carver, adepte des gens modestes confrontés à des drames ordinaires. Il adapte six nouvelles qui tournent autour du couple, du malaise, du non-dit et de la confusion.
Love me tender love me sweet never let me go…
Dans la première partie, nous découvrons quatre couples dont les histoires se déroulent en parallèle, sur la même scène, une même nuit, proche de noël. Deux des couples se rendent chez les deux autres pour partager une soirée grinçante dans laquelle trônent humour et instabilité sous-jacente. Dans la seconde partie, il s’agit de trois couples et d’un duo qui se rencontre. Tout tourne autour du vacillement, de la confrontation à ses peurs, de la révélation, des aveux et du saut dans l’énigmatique inconnu. Le besoin de l’autre est intense, cette nécessité d’être à deux malgré la déchirure envers et contre tout. Certains se renforceront, d’autres passeront des apparences, au délitement, aux adieux. La peur est bien présente, qu’elle soit celle d’aimer, de vivre ou de mourir. Une fois de plus, la mise en scène de Guillaume Vincent est habile, pure et prenante. Il s’agit d’un véritable challenge d’écoute pour les comédiens qui évoluent en parallèle dans des espaces distincts. Ils cohabitent mais aucune interaction n’opère entre les différents couples. Ils sont dans le même bateau, coincés face à l’autre. Le décor est simple et quotidien. A l’instar du texte, il est brut et sans fioritures, il va à l’essentiel. Les costumes et les accessoires suffisent à instaurer une ambiance et des contextes sociaux.
Comme il s’agit avant tout de sauver les apparences, comme dans Songes et Métamorphoses, l’humour est omniprésent. Un humour drôle et fin, cynique et terrifiant, qui nous installe dans un confort qui amplifie l’horreur dès qu’elle survient. Là est toute la finesse et la beauté de ce spectacle. Tout est sur le fil du rasoir. Calme à première vue. Mais soudainement le venin survient et tout s’éraille en une fraction de seconde. Le spectateur qui était aisément installé, imprégné de l’atmosphère bon enfant et conviviale est brusquement glacé et saisi. Toute cette souplesse et ce renversement passe par les fabuleux comédiens que sont Emilie Incerti Formentini, Victoire Goupil, Florence Janas, Cyril Metzger, Alexandre Michel, Philippe Smith, Kyoko Takenaka et Charles-Henri Wolff.
Dans un tout autre style, nous retrouvons Emilie Incerti Formentini, comédienne exquise, aux innombrables visages et à l’humour inégalable, aux côtés du charismatique Vincent Dedienne, hilarant mais surtout surprenant d’émotions, dans Callisto et Arcas, d’après Ovide. Guillaume Vincent poursuit ici son travail sur les Métamorphoses.
Imbibons nous de l’atmosphère que nous avions laissée en mai 2017 aux Ateliers Berthier. Une fois encore, l’intrigue oscille entre réalité et fiction, mythologie et contemporain. Du théâtre à l’état pur. La liberté et les possibilités inhérentes à cet art, sont de nouveau au cœur de ce spectacle. Guillaume Vincent brouille les pistes et mélange toutes les histoires. Il part de celle de Jupiter qui tombe amoureux de Callisto et l’embrasse de force avant de repartir dans les cieux auprès de son épouse Junon. De cet adultère et de ce viol, naquit Arcas. Sous la colère Junon transforma Callisto en ours que manqua de tuer Arcas. Comme à son habitude, le metteur en scène transpose cette histoire au présent, dans un contexte de casting de cinéma. Emilie Incerti Formentini revêt le costume d’une comédienne qui rend une visite nocturne à Vincent Dedienne, secrétaire travestie d’un grand réalisateur de cinéma qui lui propose de passer des essais. Jupiter déguisé et Callisto moderne, ils rejoueront avec humour et violence l’histoire de ces deux astres criant d’actualité, qui tentent aujourd’hui de se faire justice.