Chanson douce, de Leïla Slimani mis en scène par Pauline Bayle au Studio de la Comédie-Française

chanson douce

Cette chanson douce, je veux la chanter pour toi, car ta peau est douce, comme la mousse des bois.
La petite biche est aux abois. Dans le bois, se cache le loup…

S’il est bien un lieu qui permet de mettre en lumière les drames de nos sociétés, c’est la scène de Théâtre. Sur celle-ci, défilent, au cours des siècles, des générations de femmes, aimantes, victimes ou monstrueuses. Les années passent et les héroïnes contemporaines conservent en elles les traits des figures mythiques, allant de la Médée d’Euripide, à la Félicité de Flaubert.

Pour ses premiers pas au Studio de La Comédie-Française, la jeune et talentueuse metteuse en scène Pauline Bayle, s’attaque au roman à succès Chanson douce, de Leïla Slimani.

La pièce commence comme le roman, en relatant le meurtre de deux enfants en bas âge Adam et Mila. Leur nourrice, Louise, gît auprès d’eux sur le sol de leur chambre. Elle a tenté de se donner la mort après leur avoir asséné plusieurs coups de couteaux. L’infanticide annonce la couleur. L’ambiance est glaciale. Il s’agira alors de revenir en arrière, de retracer toute l’histoire depuis l’arrivée de Louise. D’essayer de comprendre comment elle a pu parvenir à un tel geste. Et si on avait pu l’éviter ? Si les parents avaient perçu les prémices d’un déséquilibre ? Les monstres les plus dangereux sont ceux qui se cachent sous le masque de la bienséance et de l’irréprochable. Ceux qui parviennent à dissimuler leur sauvagerie en l’aplatissant sous le sourire et la robe sans plis de l’employée, de la nourrice modèle. Comment peut-on envisager que le pire des crimes se déroule au plus proche de nous, dans notre quotidien, au cœur de notre intimité ? Accorder sa confiance à une inconnue, lui confier ses êtres les plus chers, sa propre chair, n’est pas décision aisée. Seulement une fois que le pas est franchi, on a en l’autre, une foi aveugle et sans faille. À présent, cette étrangère, Louise, la nounou, devenue irremplaçable, fait partie de la famille. C’est ici toute la force et l’ambivalence de l’écriture de Leïla Slimani. Faire entrer le loup dans la bergerie en juxtaposant deux univers opposés : le cocon familial, vivant et aisé de la famille Massé et le studio froid et vide de Louise, frustrée et isolée en banlieue.

Louise est un personnage représentatif de la lutte des classes. Ces petites gens, ces figures à l’existence minuscule qui sont destinées au drame. Dans la lignée des Bonnes, de Jean Genet, elle côtoie l’intimité de ses maîtres, mais reste une employée à leur disposition et sans opinion. En leur absence, elle fait du zèle. La situation se délitera jusqu’à ce qu’une violence pulsionnelle éclate.



Dans sa mise en scène, Pauline Bayle opte pour un partis pris judicieux, qui conserve davantage le mystère et l’innocence qui planent sur Louise. Ainsi, le danger met du temps à se montrer. Pendant la première partie de la pièce, elle ne dévoile que le point de vue de Paul et Myriam, les parents. Un couple uni, qui grâce à leur bonne fée Louise, retrouve son indépendance et ses rires d’antan. Myriam, qui se sent mourir dans son rôle de mère, reprend sa carrière d’avocate. Paul, quant à lui, se réjouit à nouveau de rentrer chez lui le soir pour retrouver ce nid douillet que Louise a su ranimer avec son ordre et sa cuisine délicieuse. Après leur voyage en Grèce, conquise par ce pays, dans un refus de rentrer et de se confronter à sa réalité, Louise prend enfin la parole.
 Nous découvrons une femme aigrie et obsessionnelle. Une mère qui aurait souhaité ne jamais donner la vie. Une veuve criblée de dettes qui angoisse de se retrouver dans la rue ou à l’asile. L’instabilité et le désordre mental règnent. L’exiguïté spatiale créée par la lumière qui délimite le studio de Louise, sur le bord de la scène, renforce l’oppression et la fièvre. Lorsqu’elle est dans son studio miteux de Créteil, Louise étouffe. Lorsqu’elle va chez les Massé, Louise existe à travers ses histoires de monstres et de magie qu’elle conte aux enfants. 



Florence Viala est une Louise absolument époustouflante. C’est dans ce rôle qu’elle m’ébranle le plus. Ambiguë, fragile, obligeante, réservée et sobre, elle vrille et vacille avec conviction dans la terreur, la panique et la perte de contrôle. Anna Cervinka est tout autant convaincante. Mère aimante, jeune femme bobo et avocate, elle incarne une génération de femme indépendante et assurée. D’elle se dégagent un calme et une certitude qui inspirent la confiance et la détente. Jouant toutes deux, en parallèle dans Fanny et Alexandre, d’après Bergman par Julie Deliquet, un tout autre univers, nous mesurons leur talent à passer d’un registre du cinéma suédois de 1982 à une écriture contemporaine et romanesque. À leurs côtés Sébastien Pouderoux est le parfait mari qui se laisse vivre et profite des plaisirs que lui apportent sa condition.

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