Virginia Woolf a le vent en poupe. Au cinéma, Chanya Button réalise Vita et Virginia. Au Théâtre de L’Odéon, Katie Mitchell s’attaque à Orlando. Tandis qu’au Théâtre de Belleville, avec Les Vagues, Georgia Azoulay sublime une amitié sincère et une communauté forte, qui nous redonnent confiance et espoir en l’autre. Cet autre, sans lequel nous serions si peu.
C’est avec ce roman si singulier, Les Vagues, que j’ai découvert Virginia Woolf. Auparavant, aucun texte ne m’avait semblé aussi juste dans sa description sensorielle et intérieure. Une sensibilité et une sincérité extrêmes ressortent de cette poésie et la rend bouleversante de vérité.
Nous suivons le parcours mental de six personnages, six consciences, de l’enfance à l’âge adulte. Six voix qui ne peuvent pas survivre les unes sans les autres. Six êtres que l’on observe dans leur rapport à eux-mêmes et aux autres. Tout en sensualité, ils avancent en symbiose avec la nature, les corps, la chair; au rythme de la mer et de la houle continue. Il y a Bernard, le romancier inachevé. Neville le solaire insatisfait. Jinny la belle séductrice. Louis l’angoissé du vide. Rhoda la cynique délirante, miroir de l’auteure. Suzanne la force tranquille et maternelle. Et Percival, le disparu, le muet adoré qui n’existe qu’à travers leurs six voix. Le seul qui, en quittant le groupe, à causé sa perte.
La metteuse en scène Georgia Azoulay a créé une réelle communauté. C’est cette unité qui constitue la réussite et la beauté de son travail de plateau. Un espace de vie, de loyauté et d’émotivité se dessine et rend hommage à toute la complexité et la force de l’univers de Virginia Woolf. Malgré les vagues instables, la solidarité leur permet d’affronter les méandres de la société. Malgré une vision tragique, leur union, ce pacte enfantin « à la vie à la mort », tente de résister aux souffrances de leurs destins. « Je vogue sur des eaux houleuses et je coulerai sans personne pour me sauver ». Aujourd’hui encore, ce texte s’exprime avec fracas, sur notre rapport à l’autre. Dans un monde où beaucoup d’éléments se délitent, qu’en est-il de la véracité et de l’importance du lien ?
La mise en scène jongle entre individualité et choralité. Les personnages parviennent à se distinguer tout en étant ensemble. Les espaces, la lumière, les costumes, créaient des entités indépendantes et mentales qui s’expriment à travers des tableaux et des monologues. Les instants de communion sont davantage relatifs à l’enfance. Des passages de régression, de jeux et d’enfantillages qui nous redonnent ce goût du partage, de l’audace et du lâcher prise. Cet instinct presque animal, à se déplacer en bande, toujours collé à l’autre. Mais lorsqu’un des membres est écarté du troupeau…
Faire naître une telle alchimie sur une scène nécessite beaucoup de talent et de brillants comédiens, aux personnalités engagées. Théophile Charenat, Alexandra d’Hérouville, Thomas Ducasse et Marie Guignard construisent avec finesse des figures singulières. Une pensée particulière pour Laura Mélinand, imperturbable Nina, chez Tchekhov, que nous retrouvons aujourd’hui en malicieuse et lascive Jinny. Quant à Pénélope Levy, éblouissante comédienne, elle offre à Neville une vitalité et un engagement sans limites.