A L’Odéon, Guillaume Vincent s’empare avec beauté des Mille et Une Nuits Une fois de plus, son travail autour du conte, regorge de modernité, d’humanité, de poésie et d’amour. Un voyage mystérieux, dans un univers théâtral sans pareil.
Comme à son habitude, Guillaume Vincent brouille les pistes et joue avec les codes dramatiques. Il prend plaisir à osciller entre réalité et fiction, contes arabes du Xe et scènes contemporaines. Il démultiplie les récits de manière à créer un labyrinthe infini, dans lequel le spectateur aime se perdre inlassablement.
La pièce démarre dans une salle d’attente, froide et clinique. Des mariées entrent les unes après les autres. Elles s’assoient et attendent leur tour. Toutes les deux minutes retenti un signal, un gyrophare clignote, une porte s’ouvre, celle de leur mort. Elles disparaissent une à une, derrière cette porte qui les mène au Sultan Schahriar. Un homme, qui, pour se venger de l’infidélité de son épouse, fait exécuter chaque matin, la femme qu’il a épousé la veille. Jusqu’à l’arrivée de Shéhérazade, interprétée par la délicate Andréa El Azan, une femme instruite, qui chaque nuit, lui racontera une histoire, dont la suite sera repoussée au lendemain, durant 1001 nuits. Elle entonnera des récits merveilleux, dans lesquels nous voyagerons. Des contes qui permettront de distraire, pour éviter l’horreur du massacre. Des histoires qui apaiseront les cœurs et permettront de rendre grâce à ceux qui ont fui leur destinée.
Nous suivons Shéhérazade entre Orient et Occident. Les vers des contes d’origine, sont mélangés avec les langues actuelles. Les génies prennent des apparences de Muppets. Les princesses font de la boxe. Aziz vit en collocation avec Aziza. Des ponts sont dressés vers l’actualité de notre société. La Syrie est évoquée. Les histoires d’amour entre les femmes sont davantage mises en valeur, que dans la plupart des contes universels. Le rapport homme femme est omniprésent. Shéhérazade se trouve bien sous le joug d’un homme, mais dans les contes, la femme est l’égale de l’homme. Les femmes se font couper la tête, mais les hommes se font émasculer. Il y a une véritable lutte des sexes, portée par Shéhérazade, qui trouve toute une résonnance actuelle.
A cela s’ajoute, l’humour, le décalage, constitutif de l’univers de Guillaume Vincent. Une verve souvent portée par les comédiens qui l’accompagnent depuis plusieurs années, comme Emilie Incerti Formentini et Florence Janas, deux femmes aussi bouleversantes qu’épatantes.
Ces contes, mêlés à une esthétique des plus originale, valorisent le Théâtre dans son essence la plus précieuse et la plus juste. Nous regardons un monde naitre. Le spectateur monte avec malice et désir sur ce navire poétique, qui vogue au grès du souffle mystérieux de ces contes populaires. La musique orientale, en live, de Florian Baron, les chants et les danses du sabre, contribuent au dépaysement. Quant au décor, il faut reconnaitre que le metteur en scène et François Gauthier Lafaye, le scénographe, ont conçu un dispositif des plus étonnant. Le mélange des motifs et des couleurs est audacieux, à la limite du kitsch, mais la mayonnaise prend. C’est un espace hors du commun, qui permet d’accueillir avec majestuosité ces contes hors du temps. Tout est construit, pensé, dans les moindres détails, de manière à servir la mise en scène et à démultiplier les ambiances.
Des tableaux apparaissent. La mise en scène de Guillaume Vincent est picturale, rythmée. Une magie visuelle opère et se densifie avec la splendeur et la finesse des costumes. Lucie Ben Dû façonne une garde-robe des plus éclatante. Les femmes sont sublimées et gracieuses. Les hommes élégants et singuliers. Les étoffes brillent et les voiles des toilettes vaporeuses offrent une élégance ultime à ce spectacle qui célèbre la vie et l’amour.
A présent, laissez-moi vous raconter l’histoire de cet homme qui avait une belle femme. Il l’aimait avec tant de passion, qu’il ne la perdait de vue que le moins qu’il pouvait. Un jour, que des affaires pressantes l’obligeaient à s’éloigner d’elle…