Le Théâtre 14 avait à peine eu le temps de rouvrir que Mathieu Touzé, le nouveau directeur, devait déjà refermer ses portes. Le couperet est tombé, trois mois sans Théâtre en présentiel. Trois mois sans ressentir ce frisson qui nous parvient, ensemble, tapis dans le noir. À l’aube d’une vie, qu’est-ce que trois mois ? Pour les passionnés de Théâtre, cela représente une éternité. Alors que toutes les salles de spectacles attendent les directives gouvernementales pour pouvoir renaitre de leurs cendres, le Théâtre 14 choisit une autre voie. Celle de respecter la limitation du regroupement à dix personnes, dans le cadre public. Ce dimanche, nous étions cinq à assister à la représentation de Elle pas princesse, lui pas héros, une pièce jeunesse de Magali Mougel.
Dans Elle pas princesse, lui pas héros, Magali Mougel interroge l’identité. Nils le garçon aurait voulu être une fille. Quant à Leïli, la fille, ses parents rêvaient d’avoir un garçon. La pièce commence, ils ont six ans. Chacun leur tour, ils racontent leur histoire, jusqu’au moment de leur rencontre. Nous suivons leur apprentissage dans une scolarité normée où la moindre singularité est signe de faiblesse et d’exclusion. Le temps passe et leur évolution est marquée par l’émancipation et l’affirmation de soi, de ses goûts et de ses préférences. Lorsqu’on devient adulte, il n’y a plus de place à tenir. Plus besoin de se cacher à l’intérieur de soi. Fille ou garçon, chacun agit comme bon lui semble. Mais en attendant, il y a les K-Way des garçons, Cédric le tortionnaire du camp d’été d’aventures au grand air pour les 6/9 ans, la course d’orientation, les punitions, l’amour et surtout le voyageur contemplant une mer de nuages…
À défaut de s’asseoir dans les gradins, le spectateur fait son retour sur les planches. Sept chaises sont réparties sur la scène, respectant les un mètre de distance réglementaire. Les deux comédiens jouent dans la salle en introduisant eux-mêmes, dans leurs échanges, les gestes barrières. Apparaît alors tout le pouvoir du Théâtre. Il suffit d’un texte, de deux comédiens et d’une mise en scène inventive pour créer tout un monde visuel et imaginaire. Johanny Bert n’en est pas à son premier texte de Magali Mougel. Ici le metteur en scène transforme les rangées de fauteuils en véritable terrain de jeu. La lumière cadre, découpe et dessine des espaces.
Olga Mouak est une Leïli pétillante, espiègle et vivace. Yuming Hey est un Nils sensible, touchant et déterminé. La singularité de son personnage résonne avec son expérience personnelle. Lui qui incarne ce qu’il appelle le Gender fluid, semble, comme son personnage, ne pas éprouver le besoin de se définir. Ce duo complice et libre fait de leurs différences une force sans égale.