Fraternité, conte fantastique, de Caroline Guiela Nguyen à l’ Odeon Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier est une explosion émotionnelle comme on en voit rarement sur les planches d’un Théâtre. Une fois de plus, la metteuse en scène nous livre un message d’amour universel et nous reconnecte avec l’importance des liens.
Après s’être interrogée sur sa vision de l’avenir, Caroline Guiela Nguyen a mené un travail d’immersion dans des centres sociaux et des centres de soin. Le soin, cet élément qui relève d’une prise en compte de l’autre et d’un dévouement est toujours au cœur de ses réflexions. Avec Fraternité, conte fantastique, elle pense le lien comme un puissant moyen de réparation. Pour elle, le futur ne rime pas forcément avec dystopie. Tant que la considération de l’autre et l’amour existent, tout semble possible. Ce besoin d’attention et de fraternité traverse ses mises en scène jusque dans les distributions. Elle choisit de travailler avec des acteurs non professionnels, venus de tous horizons. Dans Fraternité, conte fantastique, il y a au moins quatre langues qui habitent la scène des Ateliers Berthier. Cette pluralité exprime un engagement politique et social fort. Caroline Guiela Nguyen détruit les frontières et convoque le plateau de Théâtre comme l’espace de toutes les cultures et de toute l’humanité. Ensemble, les comédiens pourront construire et tenter de réparer.
Dans Fraternité, conte fantastique, une éclipse solaire a fait disparaitre une partie de la population. Certain ont perdu un frère, une épouse, une mère, un fils. L’action se déroule dans un Centre de consolation, un lieu qui vient en aide à ceux qui ont perdu un proche. Plusieurs personnes travaillent dans ce Centre, mènent des ateliers et s’entraident, dans l’espoir de futures retrouvailles. Chaque jour ils enregistrent de courtes vidéos pour laisser des messages à leurs disparus. Ils attendent la prochaine éclipse, certains qu’elle renversera le cours des choses et ramènera les disparus. Une scientifique de la NASA est à leur côté, en lien permanent avec ses confrères aux quatre coins du globe. Elle calcule le temps restant avant la prochaine éclipse, analyse le rythme cardiaque de chacun. Une nouvelle éclipse advient mais personne ne réapparait. Désillusionnés, les personnages apprennent que leur mémoire pèse trop lourd. À cause de leurs souvenirs, la planète s’est arrêtée de tourner. La seule solution est d’effacer toutes les traces émotionnelles liées aux êtres manquants…Après 125 ans d’attente il faut continuer à vivre !
Entre science-fiction et déferlante d’amour, Caroline Guiela Nguyen créait un univers presque lunaire. La scène des Ateliers Berthier se pare de couleurs pastels et de lumières tamisée. Il y a un aspect régressif et une douceur ambiante qui n’enlèvent rien au suspens des évènements.
Durant trois heures, les douze comédiens sont éprouvés et le spectateur chamboulé par ce raz-de-marée émotionnel. L’intensité de la douleur et de la tristesse, le poids de l’absence et du manque, la solitude et l’amour inépuisable nous percutent en plein cœur. L’engagement de la rappeuse et comédienne Saaphyra aux airs de Diam’s et la douceur du chanteur lyrique Alix Petris renforcent cette intensité. La metteuse en scène parvient à atteindre l’intime de chacun. Elle réveille les peurs profondes et marche à tâtons sur les plaies à vifs de ces êtres qui attendent un miracle.