Carton plein pour Téléphone-moi, de Jean-Christophe Dollé sur la scène du 11 Avignon ! Un texte, des comédiens et une mise en scène orchestrés à la perfection ! Un grand projet poétique sur l’autre et son absence, autour de trois générations reliées par un même objet, aujourd’hui disparu des paysages : la mythique cabine téléphonique.
Février 1945 : Au milieu du fracas des bombes, Madeleine, héroïne de la résistance, rencontre Léon dans l’abri improvisé d’une cabine téléphonique. Cette folle histoire d’amour, foudroyée par la guerre, est le point de départ d’une lignée marquée par un funeste secret. Avril 1981 : Leur fils Louis, la quarantaine, inapte à la vie de famille, a élu domicile dans une cabine téléphonique. Il y a organisé sa vie recluse, vivant de mensonges auxquels il finit par croire lui-même. Mars 1998 : À 27 ans, Léonore sa fille, éclabousse le quotidien de sa fantaisie. Fuyant le réel, son seul lien avec le monde, est une cabine téléphonique où elle se réfugie parfois, très tard, pour raconter à qui veut l’entendre ses histoires qui illuminent la nuit.
Courant sur un demi-siècle, c’est une partie de l’Histoire de France dans laquelle nous plonge cette famille, au gré des élections présidentielles et des coupes du monde de football, des grands moments de liesse populaire ou des jingles publicitaires qu’on a tous fredonnés. Mais la toile de fond historique met finalement en lumière un récit plus intime de personnages fragiles, abîmés par la vie, qui cherchent à résoudre les énigmes de leur enfance.
Déjà dans E-Generation, Jean-Christophe Dollé montrait au public comment Internet et les réseaux sociaux modifient son rapport au monde. Ici il se penche sur la cabine téléphonique. Un objet en voie de disparition, dont la démarche était tout autre que celle du téléphone portable. L’information circulait moins vite. Il fallait se déplacer et payer pour joindre une personne. La cabine téléphonique permettait également de conserver une intimité et de ne pas laisser de traces. Aujourd’hui, il n’en reste que 25 encore en fonctionnement en France, mais elles ne sont quasiment plus utilisées. Un petit village du Jura possède l’une de ces cabines toujours en état de marche. Mais depuis l’année dernière, le réseau mobile recouvre tout le village. La cabine est donc vouée à disparaître.
Cette cabine téléphonique est aussi le fil conducteur de plusieurs générations d’une même famille, que Jean-Christophe Dollé, habile et ingénieux, met en scène avec brio. Trois temporalités coexistent parallèlement pour mieux se retrouver. Les scènes s’enchainent de manière fluide et naturelle. Jean-Christophe Dollé créait des petites bulles astucieuses et inventives. Les cabines téléphoniques deviennent le lieu de l’intime et de la confidence. Avec Téléphone-moi, il ouvre la porte du souvenir et de la réconciliation. Il interroge l’héritage générationnel et ses conséquences, parfois invisibles.
Le texte émouvant et attendrissant est ponctué d’humour et de vivacité. Une frénésie portée par d’heureux comédiens qui multiplient les rôles avec adresse. Nous retiendrons surtout la fabuleuse Solenn Denis, pétulante Léonore, qui nous régale de sa délicieuse insolence « T’as sous-loué ton cerveau à une chèvre ? ». Sa voix douce et candide contrastent avec une verve mordante qu’elle sait adoucir jusqu’aux larmes.