Ahmed Madani, l’amoureux du réel, revient au Festival OFF d’Avignon avec un nouveau spectacle Au non du père, présenté au 11 Gilgamesh. Une pièce qui interroge ce qui fait lien entre un parent biologique et d’éducation, et son enfant. Comment cela oriente t’il un parcours de vie? Perdu avec délice entre fiction et vérité, le spectateur se laisse porter par ce théâtre de la vie qui émoustille tous les sens.
Anissa se tient devant nous et nous raconte son histoire. Née d’un géniteur qui n’a pas souhaité la reconnaitre, à 25 ans elle décide de retrouver sa trace. Déjà comédienne dans F(l)ammes, d’Ahmed Madani, le metteur en scène et auteur lui propose de porter son histoire sur la scène d’un plateau de Théâtre. N’étant pas comédienne professionnelle, elle accepte à trois conditions : que la lumière ne soit jamais éteinte dans le public, qu’elle puisse pâtisser pendant qu’elle raconte son récit et qu’Ahmed Madani soit toujours sur la scène à ses côtés. Deal ! La voici donc qui se tient devant nous, pimpante, espiègle, confiante et déterminée, prête à nous dévoiler une des facettes la plus intime de son histoire. Le tout en réalisant sur son plan de travail professionnel des pralines et des fondants au chocolat que chacun pourra allègrement déguster.
Le père d’Anissa a quitté sa mère avant sa naissance. Il l’avait prévenu, si elle accouchait d’un fils il reconnaitrait cet enfant. Si elle accouchait d’une fille… Anissa a donc grandi sans père, avec pour seul compagnon de route une photographie de son père arrachée à une mère dépassée par les questions intempestives de sa fille. Le temps passe et le jeune femme, alors qu’elle suit une formation de pâtisserie, tombe sur un reportage au journal télévisé. Des images d’une boulangerie en difficulté, tenue par un couple, à Colebrook, dans une petite ville des Etats-Unis la foudroie. Elle le sait, cet inconnu, ce boulanger, cet homme, qu’elle vient de voir sur son écran est son père ! Connecté à ses intuitions, tout son corps le reconnait. Elle le contacte plusieurs fois mais essuie des rejets. Ce géniteur absent ne veut pas la connaître. Ahmed Madani, lui-même fils d’un boulanger, n’a pas assisté à l’enterrement de son père. Il porte en lui cette douleur de la faute et de la honte. Il convaint Anissa de se rendre à Colebrook pour se confronter à son père et démarrer un nouveau chapitre de sa vie. Si ce n’est un chapitre de reconnaissance, ce sera celui d’une paix certaine.
Comme pour tous ses spectacles Ahmed Madani s’inspire du réel et des personnes qui l’entourent. Il se nourrit des histoires des autres, de l’universalité, pour avancer sur les méandres de son intimité. Il renvoi le spectateur à son intériorité, à sa mémoire sensorielle et ici familiale. Il jongle avec les frontières et s’amuse du champ des possibles. Il travaille majoritairement avec des jeunes de banlieue qui ne sont pas des comédiens professionnels. Peut-être est-ce cette absence de carcan et de règles qui offrent toujours aux acteurs, qu’il choisit de nommer ainsi, une liberté d’improvisation et une authenticité sans égal.
Toujours connecté au public, dans une honnêteté brute et sans filtres, Ahmed Madani et Anissa offrent au spectateur une place de choix. Celui-ci devient acteur et intervenant impatient de cette intrigue. Un évènement anecdotique, mais théâtral, qui cuisine le schéma familial et la construction d’une identité.