Drugs keep me alive et Etant donnés, de Jan Fabre

drugs keep me alive

Dans le cadre de quatre de ses solos présentés au Théâtre de Gennevilliers, Jan Fabre monte Drugs keep me alive.
La scène, délimitée et entourée de flacons de toutes tailles, prend des airs de laboratoire déjanté. Cette pharmacie illégale contribuera à la mise à l’épreuve du corps d’un homme. A travers un monologue écrit pour Antony Rizzi, celui-ci nous raconte comment il tente d’échapper à la mort en s’offrant davantage de temps. Ainsi, il fabrique une armure à son corps qu’il tapisse incessamment de drogues de toutes sortes. Ces pilules du bonheur lui permettent alors de se couper de la réalité et des hommes. Il s’invente sa propre dimension : celle de l’extase et de l’éternel. Son objectif est de rester en vie tout en allant au-delà du perceptible et du conscient. Il explore les entrailles des hallucinations et de l’euphorie sans autre préoccupation que le plaisir suprême. Suspendu comme dans une bulle de savon, il est constamment dans l’action et la recherche de nouvelles sensations. Il teste ses limites sans répit car l’inaction représente le néant et la peur de la mort. Agissant dans une parfaite lucidité, mêlant humour et dynamisme, il offre à la scène une allure de cabinet fantasmagorique. S’appropriant une langue cynique à la Woody Allen, il se fait enseignant et acteur de ses inventions. Le décor mélangeant fioles farfelues, mousse et bulles de savon colorées, nous entraîne dans un onirisme intriguant et chamboulant. L’atmosphère crée parvient à suspendre le présent et nous emporte dans l’intimité d’un mystérieux espace temps. La danse, alliée à cette magie du plateau, apparaît alors comme l’élément le plus légitime pour exprimer les réactions d’un corps en délire. Il illustre l’insaisissable et l’impalpable, concrétise physiquement les sensations intérieures éprouvées. C’est à travers le mouvement précis et juste que son énergie circule et que sa vie se prolonge. La performance presque robotique, tellement elle est précise, d’Antony Rizzi est étonnante de rigueur. Il invente un langage du corps qu’il ne semble plus maîtriser, ce qui donne davantage de crédibilité aux impacts incontrôlables des drogues qu’il ingurgite.

 

étant donnés

 

Exposer le corps nu du comédien étant devenu la grande tendance de ces dernières années, il est important de distinguer le désir de provocation gratuite d’un réel parti pris de mise en scène ! Tout peut être inscrit sur une scène de Théâtre tant que la démarche est justifiée et nourrissante pour le public. Choquer pour choquer peut avoir de la valeur, mais il doit exister un intérêt plus profond qu’une simple attaque ! Les metteurs en scène doivent se méfier de la nudité facile qui n’est même plus provocante, mais énervante et fatigante. A notre grand regret, le talentueux metteur en scène Markus Öhrn, dont le succès et l’esprit marquèrent le Festival d’Avignon passé, est pourtant tombé dans ce mauvais piège.

C’est au Théâtre de Gennevilliers, dans la lignée du travail de Jan Fabre, qu’il adapte un de ses textes, Etant donnés. Dialogue entre une poupée et son sexe, cet écrit est inspiré de l’œuvre picturale de Marcel Duchamps. Afin de mettre en avant ces paroles crues et charnelles qui tournent en boucle, Markus Öhrn reste fidèle à son amour pour la vidéo. Il opte alors pour le même traitement que pour Conte d’Amour. La scène se déroule sur une partie invisible du plateau dont le contenu est retranscrit en temps réel sur un écran en hauteur. Afin de dénoncer l’objetisation de la femme et le caractère pulsionnel de l’homme, il place le texte dans un contexte de film pornographique. Débute alors une vidéo amateur dans laquelle deux hommes masqués de cuir et armés de sexes en plastique s’acharnent sauvagement sur la projection de leur comédienne, Nadine, sous la forme d’une poupée gonflable, d’un réalisme troublant. Durant 1h15, ils expérimentent sans relâche toutes les positions imaginables. Les scènes sont gênantes car très crues et n’épargnant aucun détail. Néanmoins, nous passons outre le malaise ressenti, dans l’attente d’un quelconque bouleversement de situation. A notre grand regret, rien ne change et l’ennui s’installe, prenant le dessus sur tous nos questionnements. La situation est redondante, trop répétitive ; finalement, sans grand intérêt. Le propos érotique à travers l’utilisation d’un corps objet est évident dès le début. Nous attendons plus qu’une fausse parodie lassante de film pornographique. Cette boucle incessante écrase et efface l’éventuelle poésie du texte. Le spectateur se détache de l’écran pour tenter de la percevoir mais il n’y parvient pas. Il ne réussit même pas à se placer en position d’observateur d’une situation gênante mais pertinente tant l’action est fade et simpliste.

Dans l’esprit de Markus Öhrn, il est clair qu’un texte qui parle de sexe doit forcément ne montrer que du sexe durant tout le spectacle. Et le théâtre dans tout ça ? A trop vouloir nous placer dans un rôle distancié de voyeur, on en oublie la scène dont la présence manque cruellement. Optimistes jusqu’au bout, malgré le fait que la moitié de la salle ait déserté, nous espérons une conclusion surprenante, un parti pris final étonnant, qui redonneraient un peu de saveur à cette routine. Pourtant, il n’en sera rien. Seule, Nadine se montre sur le plateau afin de marquer une fin cliché à travers une phrase nous désignant comme poupées, à notre tour. Le public est loin d’être conquis et s’en retourne en applaudissant faiblement.

Un metteur en scène dont la force du propos et l’incontestable intelligence nous avaient ébahis à Avignon. Lui, qui avait su déclencher des réactions et des prises de consciences stupéfiantes. Aujourd’hui, la simplicité et la radicalisation de sa démarche nous ont déçus car le spécialiste dans l’art de la dérive et de la déviation que nous connaissons n’a pas su prendre les risques attendus. Markus Öhrn est il le seul responsable de notre insatisfaction, ou sa mise en scène a-t’elle été influencée et orientée par les idées imposées de Jan Fabre lui même…?

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