Entretien avec Stuart Seide – Metteur en scène de Fractures

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le texte de Linda Mc Lean ? Est-ce cette exploration de l’humain ?

Ce qui m’intéresse dans cette pièce, c’est le monde intérieur, celui qui est caché. Malgré les mots, les personnages ne parlent pas de ce qui les habite. À nous de rassembler les indications nécessaires. Il se passe beaucoup plus de choses en eux que ce qui est réellement exprimé. Il s’agit surtout de relations compliquées, de désir, de besoin, entre cette femme et une série d’hommes. C’est la difficulté de vivre avec l’autre et d’être tout seul. Ce qui me passionne dans cette pièce, c’est le jeu souterrain de chaque personnage. Un être humain a des zones d’ombre, nous vivons tous avec le poids du passé, qui nous pèse ou nous porte. C’est le cas du personnage principal, elle a un passé lourd, elle a commis quelque chose de grave avec son frère. Mais lui se bat pour essayer de construire une nouvelle vie. Quant à elle, elle veut avancer et changer les choses. Mais, peut-on se libérer de son passé ? Peut-on se réinventer ? Peut-on créer une nouvelle vie ? Aucune réponse n’est donnée. Il y a seulement cette idée de la présence du passé. Nous vivons tous avec nos fantômes. Alors, comment faire le tri pour ne pas être tiré vers le bas ?

Vous avez choisi une scénographie épurée dans une volonté de vous focaliser sur les rapports aux autres ?

Il faut aller à l’essentiel du travail : les êtres humains et les relations. Les lieux sont clairement énoncés dans le texte. Ce n’est pas important de signifier les éléments par des bibelots décoratifs. C’est donc une page blanche, neutre, sur laquelle on épingle, on colle, ces êtres humains, ces papillons de nuit, ces spécimens.

Avez-vous éprouvé une difficulté à travailler sur cet éloignement, ce manque de liens, cette absence de proximité entre les personnages ?

C’était dur donc passionnant ! Moi, en tant que metteur en scène et eux en tant que comédiens, sommes soutenus par une écriture formidable. Chaque petit mot, chaque hésitation, révèle des choses aussi bien dans l’énoncé que dans le non-dit. C’est une écriture exigeante, au demi-mot prés. De plus, il y a un hors champs qui est compris dans l’écriture. Plusieurs fenêtres s’ouvrent. Linda Mc Lean sait écrire des personnages. Il y a l’harmonie entre les six voix à travers son texte, mais aussi un sens du dialogue et de la psychologie humaine. Il n’est donc jamais difficile de monter une très belle pièce. Il s’agit plus de la difficulté qu’on a à être à la hauteur.

Comédien, Metteur en scène, Professeur d’interprétation, Directeur d’un Centre Dramatique, Directeur d’un Théâtre, puis Directeur d’une Ecole d’Art dramatique. À quelle place vous êtes-vous senti le plus épanoui ? Avez-vous déjà songé à la scénographie ?

Je ne suis pas scénographe. J’ai travaillé avec deux scénographes formidables : Charles Marty et Philippe Marioge, qui ont mis en formes des valeurs qui sont les miennes. Je n’ai pas l’impression d’avoir plusieurs casquettes, je fais du théâtre. Parfois, cela s’exprime à travers la mise en scène, rarement en tant qu’acteur, en programmant des spectacles et évidemment en enseignant. Alors, entre faire du théâtre et faire faire du théâtre…Il s’agit d’un processus différent mais l’aboutissement reste le même. Lorsque j’étais professeur, j’avais demandé conseil à Antoine Vitez qui m’avait répondu que le plus important était de savoir quel théâtre je souhaitais défendre. Je défends donc une idée du théâtre à travers toutes ces expériences.

Quelles différences y-a-t ‘il entre le théâtre en France et aux Etats-Unis ?

Je ne peux pas vraiment répondre car je suis Français et j’ai toujours fais du théâtre en France. Je ne fréquente pas vraiment les spectacles américains, qui ne sont pas forcément représentatifs de ce qui se fait. Mais ce que nous appelons sans prétention un théâtre de texte, un théâtre d’art, existe aux Etats-Unis, mais dans un milieu très restreint. Les grands artistes américains sont plus connus en Europe que dans leur pays. Maintenant j’ai un regard d’Européen sur le théâtre américain.

Quelle est votre vision du théâtre aujourd’hui dans notre société ? Est-ce qu’il est difficile de faire du théâtre ?

Cela n’a jamais été facile. Pourtant, il y a une soif du public, les salles sont pleines. Il y a une demande de styles très divergents : théâtre de texte, théâtre classique, théâtre contemporain, théâtre de mouvements, théâtre d’images. Se pose le problème de jouer assez, de satisfaire la demande. De plus, les réalités économiques engendrent de grandes difficultés. Il faut offrir au public ce qu’il mérite, au niveau de la qualité mais aussi de la quantité. Forte est l’envie de vivre quelque chose en commun avec ses concitoyens, dans une salle. De rire, pleurer, applaudir et même siffler ensemble. Être ensemble, face à des êtres en chair et en os qui sont en train de jouer, chanter, danser, bouger, à ce moment-là, ce soir-là, pour nous. Cela se fait en temps réel et même si il y aura toujours des difficultés, la nécessité est plus forte que jamais.

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